Le monde sens dessus dessous

Séquence (méta)physique
à propos du monde naturel
Le monde de la nature

Le monde naturel dans lequel nous vivons en tant qu’êtres vivants, c’est la nature comme complexe et milieu de la vie. La nature est constituée d’êtres corporels de diverses natures : si les minéraux sont des êtres matériels inanimés, les végétaux et les animaux vivent comme les êtres humains, dont le corps est un organisme vivant. Mais ne faut-il pas distinguer la nature et le monde ?

Problématisation

La nature forme-t-elle un monde pour les êtres qui la peuplent sans conscience de son existence factuelle comme ensemble organisé (Gaïa, biosphère, etc.) au fondement de la vie sur Terre ? La nature en tant que telle constitue-t-elle un monde pour les êtres non-humains et, en particulier, pour les animaux vivant dans le monde ambiant qui les environne [Umwelt au sens d’Uexküll], lequel n’est qu’un extrait minime de la nature effective ? Autrement dit, le monde en serait-il un sans l’être humain pour en faire un monde ? Le monde en tant que monde se formerait-il donc de lui-même, sans l’être humain pour penser la nature comme cosmos grâce à la station debout de la surrection qui, selon les Métamorphoses d’Ovide [I, 86], lui permet d’observer la voûte céleste (ad sidera vultus erectos) ? Pourquoi faudrait-il d’ailleurs, à l’instar d’Aristote, se focaliser sur le Ciel (ouranos) pour dire le monde (cosmos) ou le Tout de l’univers (to pan) ?

La question est donc de savoir s’il faut confondre ou distinguer la nature et le monde. Qu’est-ce qui forme le monde en tant que tel : la nature elle-même ou bien l’être humain qui la voit et en vit ? Le monde pourrait-il exister sans la vision humaine du monde (Weltanschaung) qui ne peut que percevoir la nature comme complexe de vie au sein duquel l’existence humaine se constitue ? Quel statut et quelle importance ou signification a le monde naturel par rapport au monde culturel dans lequel existe l’être humain ? Les êtres humains sont-ils dans la nature ou bien sont-ils produits par la nature comme complexe de vie ?

Le monde de la nature est-il un cadre extérieur qui ne serait pour nous qu’un décor théâtral de nos faits et gestes (res gestae) ou encore une sorte de contenant sans relation ni symbiotique, ni symbolique avec le contenu des existences humaines ? [A]
Ou bien
Le monde naturel serait-il une condition de possibilité écologique de la vie des êtres naturels qui, de ce fait, s’avère être de surcroît une condition de possibilité symbolique de la construction d’un monde culturel structuré par des repères au sein de la nature (entre Ciel et Terre, près de la mer ou dans les montagnes, etc.) qui seraient de facto à l’origine de la constitution des valeurs humaines ? [Ā]

Autrement dit, y a-t-il continuité ou discontinuité entre ces deux mondes ? Faut-il les concevoir en opposition, et céder à une forme de dualisme, ou bien les considérer uniment en projetant la structure de l’un sur l’autre, que ce soit dans un sens ou dans l’autre ? Convient-il, en ce cas, de défendre une conception physicienne du monde humain, à l’instar d’Épicure – qui pense l’âme humaine, comme constituée d’atomes subtils circulant dans le corps, sur le modèle de la matérialité de l’univers extérieur – ou bien, au contraire, faut-il adhérer à une conception métaphysicienne de la nature, qui projette la structure finalisée du monde humain sur la nature en privilégiant le paradigme de l’action ou de la production intentionnelles de l’être humain ?

C’est dans des termes différents que ces mêmes problèmes se sont posés au cours des deux périodes, antique puis moderne, où s’est produit – dans le monde dit occidental – une poussée de rationalisation du monde de vie de l’être humain. La poussée physicienne du naturalisme, dès l’Antiquité grecque, cherche à expliquer le monde naturel à partir de lui-même en s’imposant concrètement contre la tendance méta-physique contraire qui aspire à en donner une interprétation symbolique. Car cette contre-poussée métaphysique vise à imposer au monde naturel, conçu comme cosmos plutôt que comme univers, des principes culturels ou symboliques d’origine humaine qui reviennent à projeter de manière anthropomorphique sur la nature une représentation – humaine, trop humaine–  de l’ordre et de la beauté du monde, là où il faudrait sobrement se contenter de reconnaître l’ordre naturel des choses en considérant rationnellement la connexion des causes efficientes productrices d’effets [voir l’appendice à la première partie de l’Éthique de Spinoza].

Suivant le fil directeur indiqué par le titre de l’ouvrage d’Alexandre Koyré : Du monde clos à l’univers infini (1957), il s’agirait de procéder en deux temps. Le second moment, moderne, montrera comment la révolution copernico-galiléenne, évoquée par Kant dans la préface à la seconde édition (1787) de la Critique de la raison pure, a lancé – selon l’analyse de Koyré – « le développement de la cosmologie nouvelle, qui remplaça le monde géométrique des Grecs et le monde anthropocentrique du Moyen-âge par l’univers décentré de l’astronomie moderne » [p. 9 de la trad. fr., « idées/gallimard », 1973] : ce qui a déclenché une révolution spirituelle très profonde [dans les termes de Whitehead] ou encore une « crise de la conscience européenne » [*l’expression fait référence à la Krisis, ouvrage de Husserl rédigé en 1934-1935] en vertu de laquelle «  l’homme a perdu sa place dans le monde ou, plus exactement peut-être, a perdu le monde même qui formait le cadre de son existence et l’objet de son savoir » (p. 11). Il faudra montrer comment la conquête scientifique de l’univers infini doit s’émanciper, au XVIIe siècle, de la tutelle métaphysique de la théologie qui pèse sur la vision du monde naturel.

Or il s’est produit quelque chose de similaire au cours de la première poussée de rationalisation. Car la poussée physicienne du naturalisme a, dès l’aube de la pensée rationnelle, été concurrencée et contrecarrée par une sorte de tentation métaphysicienne de rétablir un principe méta-physique pour expliquer rationnellement le monde naturel. Le premier moment aura donc pour objectif de reconstituer le débat antique à propos du cosmos considéré par les Grecs, de manière dominante [A], comme clos au double sens où ce monde clôturé est limité ou fini, en tant même qu’il est achevé et parfait (teleios) : le monde prend ainsi la forme d’une sphère, figure de la perfection (telos) pour les Grecs. Mais cette conception est contredite par la vision, il est vrai dominée [Ā], d’un univers ouvert qui serait constitué d’atomes se rassemblant par hasard dans le vide interstellaire. Le débat à Rome prendra la figure de l’opposition entre les écoles épicurienne et stoïcienne.

1.     La conquête (méta)physicienne du monde naturel
comme lieu de vie des hommes

Le discours physicien expulse les éléments mythologiques ou métaphysiques hors de la physique : le principe (archè) ou souche de toute chose est trouvé dans les éléments matériels (l’eau pour Thalès, l’air pour Anaximène, etc.), de sorte que la loi de la nature est immanente à l’élément naturel, et ce contre la distinction mythologique entre les éléments primordiaux (Chaos, Gaïa, Nyx, Océan, etc.) et la puissance divine (Cronos, Zeus, etc.) qui leur impose sa loi institutrice de l’ordre de l’univers. Selon Vernant, c’est un nouveau modèle d’intelligibilité du monde qui se met en place grâce à deux procédés : 1) des comparaisons, empruntées à des réalités sensibles et notamment à des modèles techniques (le soufflet du forgeron, la respiration, etc.), définissent le jeu d’un mécanisme matériel de transformation (par composition, dissociation condensation, raréfaction), sans plus postuler l’opération dynamique d’un agent actif pensé sur un modèle anthropomorphique de l’action humaine ; 2)  unesubstantification de qualités sensibles dépouillées de tout trait anthropomorphique.

Pourtant, dans le geste de rupture avec la cosmogonie mythologique, il y aurait une hésitation fondamentale entre l’objectif physicien de comprendre la nature (phusis) à partir d’elle-même et la tentation métaphysicienne d’invoquer à nouveau des entités métaphysiques pour en rendre compte.

Il est fait référence à la numérotation des fragments des présocratiques proposé par Jean-Paul Dumont dans leur édition sous deux formats : 
Les Présocratiques [Gallimard, « bibliothèque de la pléiade », 1988] vs Les écoles présocratiques [Gallimard, « folio-essais », 1991].
Thalès (639-546 av. J.-C.) à Milet

Thalès conçoit une cosmologie non mythologique, fondée 1. sur une astronomie géométrique et 2. une physique (rudimentaire), qui lui permet d’affirmer que 3. « le monde est un. » (xiii b) tout en étant animé par des démons…

  1. une astronomie géométrique
Θαλῆς δὲ πρῶτος παραδέδοται τὴν περὶ φύσεως ἱστορίαν τοῖς ῞Ελλησιν ἐκφῆναι [B i]

Thalès serait le premier, dit-on, à avoir révélé aux Grecs « l’enquête sur la nature » (B i) : il est le premier à comprendre les éclipses et les équinoxes (A i), ainsi que la taille et la nature du soleil, la marche du soleil, le cours des vents, le mouvement des étoiles, le grondement de la foudre, les orbites obliques des astres, la période annuelle du soleil, l’éclairage de la lune par le soleil, le grossissement de la lune à son lever, sa diminution au coucher et les obstacles responsables de ces éclipses (A xvii a,b), et tout ceci grâce à la géométrie – la méthode des petits segments [apprise en Égypte où il aurait envoyé Pythagore (A xi)] – qui lui a permis de calculer l’orbite du soleil, de prédire une éclipse de soleil, comme de mesurer la hauteur des pyramides. C’est une application décisive de la géométrie à l’astronomie [par contraste avec l’astronomie assyro-babylonienne, de type arithmétique, qui était parvenue à prévoir l’apparition des astres à partir de recettes arithmétiques].

  1. une physique

Constatant que les cadavres se dessèchent et que toute nourriture est humide, comme les semences des êtres vivants, Thalès pose que toute chose provient de l’eau – « l’eau est le principe [archè] de toutes les choses » – qui se mélange avec les trois autres éléments (feu, air, terre) pour composer les choses du monde :

Θαλῆς μὲν καίοπερ ἐκ τοῦ ὕδατός φησι συνεστάναι πάντα, ἀλλ᾿ ὅμως καὶ τοῦτο βούλεται [sc. ²μεταβάλλειν εἰς ἄλληλα τὰ στοιχεῖα]· ἄμεινον δὲ καὶ αὐτοῦ τὴν ῥῆσιν προσθεῖναι ἐκ τοῦ δευτέρου περὶ τῶν ἀρχῶν ἔχουσαν ὧδέ πως· ᾿τὰ μὲν οὖν πολυθρύλητα τέτταρα, ὧν τὸ πρῶτον εἶναι ὕδωρ φαμὲν καὶ ὡσανεὶ μόνον στοιχεῖον τίθεμεν, πρὸς σύγκρισίν τε καὶ πήγνυσιν καὶ σύστασιν τῶν ἐγκοσμίων πρὸς ἄλληλα συγκεράννυται. Πῶς δέ, ἤδη λέλεκται ἡμῖν ἐν τῶι πρώτωι.᾿ GAILEN. In Hipp. de hum. I, 1 [XVI 37 K]

« Bien que Thalès ait déclaré que toutes les choses sont composées à partir de l'eau, il n'en veut pas moins que les éléments subissent de mutuelles transmutations. Le mieux est de citer son propre propos, au livre second de son traité Sur les principes où il déclare : ‟Quant aux célèbres quatre éléments, dont nous disons que le premier est l’eau, que nous posons en quelque sorte en élément unique, ils se mélangent mutuellement par combinaison, solidification et composition des choses du monde.” » (B iii). [Galien, Sur les humeurs d’Hippocrate]

C’est que « les mélanges sont des mixtions d’éléments par altération » (xiii a). Dans sa Métaphysique (983b6), Aristote affirme que « la plupart des premiers philosophes estimaient que les principes de toutes choses se réduisaient aux principes matériels », tout en divergeant sur le principe premier :

« Pour Thalès, le fondateur de cette conception philosophique, la nature est l’eau (c’est pourquoi il soutenait que la terre flotte sur l’eau) ; peut-être admit-il cette théorie en constatant que toute nourriture est humide et que le chaud lui-même en tire génération et vie […] et aussi peut-être le fait que les semences de toutes choses ont une nature humide, de telle sorte que l’eau est pour les choses humides le principe de leur nature. » (A xii)
« la terre flotte immobile à la façon d’un morceau de bois » (A xiv)

Mais qu’en est-il de l’esprit dont l’être humain fait l’expérience ?

  1. un monde méta-physique ?

Dans le De anima (415a19 vs 411a11), Aristote avance que Thalès aurait « tenu l’âme pour quelque chose de moteur, puisqu’il a dit que la pierre d’aimant a une âme, étant donné qu’elle meut le fer » : ce qui expliquerait qu’il ait « pensé que toutes les choses étaient remplies de dieux » (A xxii).

Ἀρχὴν δὲ τῶν πάντων ὕδωρ ὑπεστήσατο, καὶ τὸν κόσμον ἔμψυχον καὶ δαιμόνων πλήρη. [Diogène Laërce, 27]

« il considéra l’eau comme le principe de toute chose, et que le monde est animé et rempli de démons. » (A i)
« Thalès affirma le premier que l’âme se meut éternellement ou se meut d’elle-même » (A xxii a), il est « le premier à déclarer l’âme immortelle » (A ii),
Θαλῆς νοῦν τοῦ κόσμου τὸν θεόν, τὸ δὲ πᾶν ἔμψυχον ἅμα καὶ δαιμόνων πλῆρες [Aétius, Opinions, I, vii, 11]

« Thalès disait que Dieu est l’intellect du monde, que le Tout est animé et plein de démons ; et encore, qu’à travers l’humidité élémentaire chemine une force divine qui la meut » & « l’eau est le principe des choses et Dieu est l’intellect qui façonne toutes choses à partir de l’eau » (A xxiii)

Thales enim Milesius qui primus de talibus rebus quaesivit, aquam dixit esse initium rerum, deum autem eam mentem, quae ex aqua cuncta fingeret. [Cicéron, De la nature des dieux, I, x, 25]
« On lui attribue aussi les sentences suivantes : le plus ancien est dieu : il est inengendré. Le plus beau est le monde : il est l'œuvre de dieu. »
Φέρεται δὲ καὶ ἀποφθέγματα αὐτοῦ τάδε· πρεσβύτατον τῶν ὄντων θεός· ἀγένητον γάρ. Κάλλιστον κόσμος· ποίημα γὰρ θεοῦ. [Diogène Laërce, 35]

Selon Nietzsche – dans le § 3 de La philosophie à l’époque de la tragédie grecque (1872) –, Thalès n’est pas seulement un astronome mathématicien et un observateur de la nature, c’est aussi un philosophe ou un sage qui a rompu avec l’imagerie mythique : à la faveur d’un génial pressentiment [Vorgefühl] ou encore d’un « acte de foi métaphysique ayant son origine dans une intuition mystique » (361/fr.35) de « l’unité de l’étant », il a posé que “Tout est un” (alles ist eins), de manière non-mythique et non-allégorique, en reconnaissant dans l’eau la réalité originaire de toutes choses : se considérant lui-même comme le reflet du monde (als der Widerschein der Welt), « Le philosophe cherche à faire résonner en soi la tonalité d’ensemble du monde » (Gesamtklang der Welt). Ce serait donc une philosophie encore métaphysique qui aurait pris la relève de la métaphysique mythologique…

Empédocle (495-435 av. J.-C.) d’Agrigente

Empédocle distingue entre le monde (cosmos) et le tout (to pan), dont le monde n’est qu’une infime partie :

᾿Εμπεδοκλῆς δὲ κόσμον μὲν ἕνα, οὐ μέντοι τὸ πᾶν εἶναι τὸν κόσμον, ἀλλὰ ὀλίγον τι τοῦ παντὸς μέρος, τὸ δὲ λοιπὸν ἀργὴν ὕλην. [Aétius, I, 5, 2]

« Le monde est un, mais le monde n’est pas le tout, il est seulement une petite partie du tout, le reste constituant la matière inerte. » (A lii)
οὐδέ τι τοῦ παντὸς κενεὸν πέλει οὐδὲ περισσόν. (B xiii)

Cette matière inerte, pour autant, n’est pas en excès (perissos). Car il n’y a dans le Tout ni superflu, ni vide (keneon) au sens de vain ou de futile. Qu’en est-il du monde ?

᾿Εμπεδοκλῆς τὸν κόσμον φθείρεσθαι κατὰ τὴν ἀντεπικράτειαν τοῦ Νείκους καὶ τῆς Φιλίας. [Aétius, II 4, 8]

« Pour Empédocle, le monde se détruit du fait de la domination alternée de la Haine et de l’Amitié. » (A lii)

Le monde, constitué à partir des éléments, est un. Mais il ne reste pas le même au cours du temps, puisqu’il naît, se détruit et naît à nouveau du fait de la domination alternée de la haine et de l’amitié (A lii). Car la Haine [Neikos] et l’Amitié [Philia] règnent [kratein] tour à tour, l’amitié rassemble toutes les choses en un monde uni : pour ce faire, l’Amitié détruit le monde de la haine – en expulsant les choses engendrées hors du monde [cf. B xvi] –, puis elle crée, à partir de ce monde de la haine, le Sphairos immobile ; mais la haine dissocie de nouveau les éléments et produit le monde que nous connaissons :

« D’autres disent que le même monde alternativement naît et se détruit, et né de nouveau se détruit de nouveau ; et que cette succession est éternelle, ainsi que le dit Empédocle, qui pense que l’amitié et la haine règnent tour à tour, que la première rassemble toutes les choses en un Un, détruit le monde de la haine, et produit à partir de lui le Sphairos, tandis que la haine dissocie de nouveau les éléments et le monde que nous connaissons. » (A lii, p. 155)

οἱ δὲ ἐναλλὰξ γίνεσθαι καὶ φθείρεσθαι τὸν αὐτὸν καὶ πάλιν γενόμενον πάλιν φθείρεσθαι (sc. τὸν κόσμον) λέγουσι, καὶ ἀίδιον εἶναι τὴν τοιαύτην διαδοχήν, ὥσπερ ᾿Εμπεδοκλῆς τὴν Φιλίαν λέγων καὶ τὸ Νεῖκος παρὰ μέρος ἐπικρατοῦντα τὴν μὲν συνάγειν τὰ πάντα εἰς ἓν καὶ φθείρειν τὸν τοῦ Νείκους κόσμον καὶ ποιεῖν ἐξ αὐτοῦ τὸν Σφαῖρον, τὸ δὲ Νεῖκος διακρίνειν πάλιν τὰ στοιχεῖα καὶ ποιεῖν τὸν τοιοῦτον κόσμον. [Simplicius, de caelo, 293, 18]
μήποτε δὲ κἂν ἐπικρατῆι ἐν τούτωι (sc. τῶι κόσμωι) τὸ Νεῖκος ὥσπερ ἐν τῶι σφαίρωι ἡ Φιλία, ἀλλ᾿ ἄμφω ὑπ᾿ ἀμφοῖν λέγονται γίνεσθαι. καὶ τάχα οὐδὲν κωλύει παραθέσθαι τινὰ τῶν τοῦ ᾿Εμπεδοκλέους ἐπῶν τοῦτο δηλοῦντα ᾿αὐτὰρ ... κελεύθους᾿. [Simplicius, de caelo, 528, 30]

Tous les éléments de disharmonie proviennent de la haine : la haine dissocie les éléments et crée le monde dans lequel on vit. Si l’amitié domine au contraire, le monde devient une sphère englobant tout dans une unité indifférenciée. Car, dans un monde parfait, Sphairos est là, tout joyeux et égal à soi-même, sans différenciation :

28. ἀλλ᾿ ὅ γε πάντοθεν ἶσος <ἑοῖ> καὶ πάμπαν ἀπείρων 
Σφαῖρος κυκλοτερὴς μονίηι περιηγέι γαίων. [Stobée]

“Égal à lui-même partout, illimité,
Sphairos est là, tout rond, joyeux et immobile” (B xxviii, p. 194)
29. τὴν Φιλίαν διὰ τῆς ἑνώσεως τὸν Σφαῖρον ποιοῦσαν, ὃν καὶ θεὸν ὀνομάζει (Β 31), καὶ οὐδετέρως ποτὲ καλεῖ ᾿σφαῖρον ἔην᾿. [Simplicius, phys.. 1124, 1]

L’Amitié crée par unification le Sphairos, qu’il nomme aussi un Dieu, et que parfois il désigne par le neutre : Il était une fois le rond (B xxix, p. 194-195)

La Sphère, c’est la forme que prend le monde une fois que l’amitié l’a mis en ordre ou ordonné (kosmein) de manière harmonieuse, alors que notre monde n’est pas arrangé aussi bien, la haine ayant dis-posé (diakosmein) les parties séparées après avoir été violemment dissociées de l’unité et transformées en de nombreuses choses :

29. καὶ περὶ μὲν τῆς τοῦ κόσμου ἰδέας, ὁποία τίς ἐστιν ὑπὸ τῆς Φιλίας κοσμουμένη, λέγει τοιοῦτόν τινα τρόπον·᾿οὐ ... αὐτῶι᾿.
οὐ γὰρ ἀπὸ νώτοιο δύο κλάδοι ἀίσσονται,
οὐ πόδες, οὐ θοὰ γοῦν(α), οὐ μήδεα γεννήεντα,
ἀλλὰ σφαῖρος ἔην καὶ <πάντοθεν> ἶσος ἑαυτῶι.
29. τοιοῦτόν τι καὶ κάλλιστον εἶδος τοῦ κόσμου ἡ Φιλία ἐκ πολλῶν ἓν ἀπεργάζεται· τὸ δὲ Νεῖκος, τὸ τῆς τῶν κατὰ μέρος διακοσμήσεως αἴτιον, ἐξ ἑνὸς ἐκείνου ἀποσπᾶι καὶ ἀπεργάζεται πολλά.

« Et, au sujet de la forme du monde (idea tou kosmou), quand elle est ordonnée par l’Amitié, voici à peu près ce qu’il dit :

“Deux branches ne naissent pas de son dos ;
Pas de pieds, pas de genoux rapides, pas de sexes ;
Mais il était sphérique et ‹partout› égal à lui-même.”

Telle est la très belle forme du monde (eidos tou kosmou) qu’arrange l’Amitié produisant l’Un du multiple. La Haine, qui est la cause de la séparation du monde en parties, c’est de cette unité qu’elle arrache et les nombreux (êtres) qu’elle produit. » [Hippolyte, VIII, 29]
« La nécessité (anagkè) que la foule appelle destin (eimarmenè) est, pour Empédocle, l’ensemble constitué par l’amitié et la haine. » (A xlv, p. 152)

ἀνάγκην, ἣν εἱμαρμένην οἱ πολλοὶ καλοῦσιν, ᾿Εμπεδοκλῆς δὲ Φιλίαν ὁμοῦ καὶ Νεῖκος. [Plutarque, de an. procr., 27, 2]
᾿Εμπεδοκλῆς οὐσίαν ἀνάγκης αἰτίαν χρηστικὴν τῶν ἀρχῶν καὶ τῶν στοιχείων. [Aétius, I 26, 1]

Le monde unifiant des choses diverses, Empédocle doit rendre compte à la fois de l’unité du monde et de la dispersion des éléments mis en ordre au sein du monde. Ce qu’il appelle la nécessité (anagkè) est tout à la fois (omou) amitié et haine : ce sont les formes de l’Un dont les quatre éléments constituent la matière. Selon Aristote (A xxxvii) et Lucrèce (A xxi), Empédocle serait l’inventeur des quatre éléments. Le monde dans lequel nous vivons est le mélange de ces éléments :

32. <᾿Εμπεδοκλῆς σφαιροειδὲς καὶ ἀίδιον καὶ ἀκίνητον τὸ ἓν> καὶ τὸ μὲν ἓν τὴν ἀνάγκην, ὕλην δὲ αὐτῆς τὰ τέτταρα στοιχεῖα, εἴδη δὲ τὸ Νεῖκος καὶ τὴν Φιλίαν. λέγει δὲ καὶ τὰ στοιχεῖα θεοὺς καὶ τὸ μῖγμα τούτων τὸν κόσμον καὶ πρὸς τ<ούτοις τὸν Σφαῖρον, εἰς ὃν πάντα ταῦτ>᾿ ἀναλυθήσεται, τὸ μονοειδές. καὶ θείας μὲν οἴεται τὰς ψυχάς, θείους δὲ καὶ τοὺς μετέχοντας αὐτῶν καθαροὺς καθαρῶς. [Aétius, I, 7, 28]

« Empédocle disait que l’Un est sphérique, éternel et immobile et que : d’une part, l’Un est la nécessité ; d’autre part, sa matière est constituée par les éléments, et ses formes par la haine et l’amitié. Il pense encore que les quatre éléments sont des dieux et que le monde est leur mélange, et qu’en plus d’eux est le Sphairos, en qui toutes choses se dissoudront et qui est l’unique quant à la forme. Il pense encore que les âmes sont divines, et divins les purs qui purement participent à elle » (A xxxii, p. 147)

Dans son poème, Empédocle reprend des thèmes mythologiques qu’il subvertit pour les expliquer de manière matérialiste : d’une part, la nécessité n’est pas le destin de la foule ; d’autre part, les quatre éléments (feu, terre, eau, air) sont des dieux mortels, puisqu’ils changent constamment, mais leur divinisation revient à démythologiser les dieux de la mythologie, d’autant plus que ces dieux mortels sont ontologiquement inférieurs aux dieux immortels que sont les principes inengendrés de la haine et de l’amitié.

« Il existe quatre dieux mortels : le feu [Héphaistos (p.219-220) ou Zeus (p.147-148)], la terre [Héra, mère de vie] l’eau et l’air, mais deux dieux immortels, inengendrés et sans cesse en conflit : la haine et l’amitié (B cxv, p. 230) 
ἀνάγκην καλῶν τὴν ἐξ ἑνὸς εἰς πολλὰ κατὰ τὸ Νεῖκος καὶ ἐκ πολλῶν εἰς ἓν κατὰ τὴν Φιλίαν μεταβολήν. θεοὺς δέ, ὡς ἔφην, τέσσαρας μὲν θνητούς, πῦρ ὕδωρ γῆν ἀέρα, δύο δὲ ἀθανάτους, ἀγεννήτους, πολεμίους ἑαυτοῖς διὰ παντός, τὸ Νεῖκος καὶ τὴν Φιλίαν. [Hippolyte, Refutationes VII, 29, 21]

En somme, Empédocle relativise le monde dans lequel nous vivons de plusieurs manières : tout d’abord, en opérant la distinction entre monde et univers ; ensuite, en refusant de se représenter le monde à travers la figure de la perfection qu’est la sphère. Si le monde est un-uni-unifié grâce à l’amitié qui permet l’unification du multiple, il n’est pas parfaitement uni comme l’est la Sphère immobile et égale à elle-même, le véritable dieu : en devenir, le monde est engendré au cours de la guerre entre la puissance d’unification qu’est l’amitié et la puissance de dispersion ou de division qu’est la Haine. Freud saura s’en souvenir…

Démocrite (460-370 av. J.-C.) d’Abdère

Si le monde est sphérique, il est infini et corruptible, car il contient du vide et est composé d’atomes crochus disposant d’une certaine liberté de mouvement : le monde est ainsi composé d’une multiplicité infinie d’Uns aux formes multiples, dont la combinaison produit un nombre varié de corps-assemblages : c’est que le monde est gouverné par la nécessité, et non par la providence ou une âme du monde. Contre Démocrite, Epicure substituera le hasard à la nécessité

2.     Un monde par nature corporel

Épicure (342-270 av. J.-C.) de Samos ou Athènes

Comme le monde naturel est strictement corporel, Épicure n’a pas besoin d’éléments de type métaphysique inspirés de la mythologie pour en rendre compte, même pour les choses invisibles comme l’âme. La cosmologie et la physique épicuriennes n’énoncent pas des thèses qui prétendraient dogmatiquement être vraies, mais seulement des hypothèses vraisemblables qui doivent s’accorder avec l’exigence éthique d’assurer la tranquillité de l’âme (ataraxie) en lui épargnant des craintes irrationnelles, par exemple à propos de la foudre : ce qui implique de rompre avec la mythologie en substituant aux dieux de la foule des explications raisonnables sur ce qui se passe dans le monde. La cosmologie seulement conjecturelle d’Épicure a l’insigne avantage d’éviter tout dogmatisme en invitant l’esprit à s’ouvrir à une pluralité d’hypothèses en concurrence.

Lettre à Hérodote
«... l’univers [to pan] a toujours été et sera toujours ce qu’il est. Il n’y a rien d’autre en effet en quoi il puisse se changer, ni rien, non plus, en dehors de lui, qui puisse agir sur lui pour le faire changer. (40) L’univers est composé de corps et de lieu [topos]. L’existence des corps nous est garantie par-dessus tout par la sensation, car c’est sur elle que se règlent, comme je l’ai dit, toutes les conjectures que le raisonnement dirige vers l’invisible. S'il n'y avait pas ce que nous appelons vide [kenon], espace [chora] ou nature impalpable [anaphè phusin], les corps n’auraient ni siège où résider ni intervalle où se mouvoir, comme nous voyons qu’ils se meuvent. Hors de ces deux choses, on ne peut plus rien saisir d’existant, ni sensiblement ni par analogie au sensible ; rien d’existant à titre de substances complètes, car il n’est pas ici question de ce que nous appelons les attributs ou accidents de ces substances. Maintenant, parmi les corps, on doit distinguer les composés et ceux dont les composés sont faits : (41) ces derniers corps sont insécables [atoma] et immuables - et il le faut bien pour que toutes choses ne se résolvent pas en non-être et pour qu’il y ait des réalités capables de subsister dans la dissolution des composés ; de plus, ces corps élémentaires sont essentiellement pleins, de sorte que la dissolution ne sait par où ni comment les prendre. Et, par-là, les éléments des corps sont des substances insécables.
L’univers est infini. En effet, ce qui est fini a une extrémité. Or, une extrémité ne se perçoit que par rapport à quelque chose d’extérieur à ce dont elle est l’extrémité : mais l’univers ne peut pas être perçu par rapport à quelque chose d’extérieur à lui, puisqu’il est l’univers ; il n’a donc point d’extrémité et par conséquent point de limite et, n’ayant point de limite, il doit être infini et non pas fini. Ajoutons que l’univers est encore infini et quant au nombre de corps qu’il renferme, et quant à la grandeur du vide qui est en lui. (42) En effet, d’une part, si le vide était infini et si les corps étaient en nombre fini, les corps ne pourraient s’arrêter nulle part, mais ils se disperseraient emportés à travers l’infini du vide, puisqu’ils ne trouveraient jamais de support où s’appuyer, ni rien qui, par des chocs, pût les rassembler. Et, d’autre part, si le vide était fini et les corps en nombre infini, ceux-ci n’auraient pas de place assez ample pour y résider.
Les corps insécables et pleins, dont sont formés et dans lesquels se résolvent les composés, présentent un nombre de formes [schèma] différentes trop grand pour que nous puissions le saisir : car le nombre prodigieux des formes différentes offertes par les composés ne peut pas provenir d’un nombre concevable de formes élémentaires toujours les mêmes. De plus, chaque sorte de forme comporte un nombre infini d’exemplaires ; mais, envisagées quant à leurs différences, les formes ne sont pas en nombre absolument infini : elles dépassent seulement tout nombre concevable, (43) à moins qu’on ne s’avise de considérer les grandeurs des atomes comme pouvant aller à l’infini. Ajoutons que les atomes sont, depuis l’éternité, dans un mouvement perpétuel. Les uns dans leur mouvement laissent subsister entre eux de très grandes distances ; les autres, au contraire, gardent là même leur vibration, s’ils se trouvent pris dans un enchevêtrement ou enveloppés par des atomes enchevêtrés. (44) Et en effet, ce résultat provient d’abord du vide qui, au sein même des composés, isole en lui-même chacun des atomes, faisant ainsi que rien n’appuie sur chacun des atomes pour l’immobiliser ; puis, d’autre part, la solidité qui appartient aux atomes fait qu’ils rebondissent après le choc, autant du moins que leur enveloppement par le composé leur permet de reprendre, à la suite du choc, leur position primitive. Il n’y a pas de commencement à ces mouvements, parce que les atomes et le vide sont éternels.
(45) Voilà assez de paroles, à la condition qu’on se souvienne de tout ce que nous avons dit, pour donner à toutes les pensées sur la nature des êtres substantiels un moule suffisant. Ce n’est pas seulement le nombre des atomes, c’est celui des mondes qui est infini dans l’univers. Il y a un nombre infini de mondes [kosmoi] semblables au nôtre et un nombre infini de mondes différents. En effet puisque les atomes sont en nombre infini, comme nous l’avons dit tout à l’heure, il y en a partout, leur mouvement les portant même jusque dans les lieux les plus éloignés. Et d’autre part, toujours en vertu de cette infinité en nombre, la quantité d’atomes propres à servir d’éléments, ou, autrement dit, de causes, à un monde, ne peut être épuisée par la constitution d’un monde unique, ni par celle d’un nombre fini de mondes, qu’il s’agisse d’ailleurs de tous les mondes semblables au nôtre ou de tous les mondes différents. Il n’y a donc rien qui empêche l’existence d’une infinité de mondes. »
[trad.fr . d’Octave Hamelin, 1910]
  1. Le Tout, l’univers (to pan), qui reste le même, n’est pas le monde (cosmos). Le Tout est composé de corps et de lieux vides, où le mouvement des corps est possible : l’univers est en mouvement perpétuel, depuis tout le temps. Les atomes sont les éléments premiers de ces corps composés. Le Tout est illimité, sans haut ni bas, et il est composé d’une infinité de corps et de lieux vides.
  2. Dans le monde que l’être humain connaît par expérience, il y a des corps invisibles : chacun ressent en soi-même sa propre âme. Pour Épicure, l’âme est un corps constitué de particules subtiles qui circulent dans l’organisme : ce qui correspond à ce que nous appelons le système nerveux de transmission des sensations à travers le corps. La vision, par exemple, est un choc provoqué par le simulacre de quelque chose : cette forme constituée par des particules invisibles produites par la chose en question frappe l’âme, dont les atomes sont perturbés avec pour effet de nous donner l’image de la chose en question. Dans le monde conçu par Épicure de manière matérialiste, il y a bien des corps invisibles, mais il n’y a pas d’incorporel.
  3. En réalité, il y a une infinité de mondes composés d’atomes. L’être humain connaît le monde dans lequel il vit par l’intermédiaire de la sensation (aisthesis), qui est le premier critère de vérité. Même si nous n’en avons l’expérience sensible, nous comprenons les autres mondes par analogie avec notre propre monde dans lequel nous observons des agrégats limités avec des formes déterminées, sans d’ailleurs pouvoir constate si notre monde soit fini ou limité. Épicure en induit à partir de là deux caractéristiques valables pour tous les mondes :

1) la formation d’un monde se produit aux dépens de l’infini par des tourbillons, plus ou moins importants, qui rassemblent des atomes en les concentrant à un endroit [*grâce à la force mécanique centrifuge]. Au bout d’un certain temps, le monde saturé se stabilise et ne reçoit plus d’atomes venus de l’extérieur. L’univers est ainsi différencié en une pluralité de mondes en nombre infini ;

2) même si ces différents mondes ont des formes différentes, rien de permet d’exclure que s’y trouvent les mêmes corps que dans notre monde, à savoir ces animaux et ces plantes formés à partir de germes (spermata).

« Il faut admettre que le monde, et en général tout agrégat limité, se forment, par analogie avec ce que nous observons journellement, aux dépens de l’infini, tous ces mondes et tous ces agrégats limités se différenciant au sein des tourbillons [sustrophè] grands ou petits et diversement constitués d’où ils proviennent. Puis, par une marche inverse, ils se dissolvent tous, les uns plus vite, les autres plus lentement ; les uns sous l’action de telles causes, les autres sous celle de telles autres causes. (74) Il ne faut pas croire que les mondes aient nécessairement une seule et même forme. On doit admettre que dans tous les mondes, sans exception, il y a des animaux, des plantes et tous les autres êtres que nous observons, car personne ne saurait démontrer que tel monde est susceptible également de renfermer et de ne pas renfermer les germes des animaux, des plantes et des autres êtres que nous observons ; et, d’autre part, que tel autre monde est absolument incapable de renfermer de pareils germes [spermata]. »
Lettre à Pythoclès
« Un monde consiste en une enveloppe céleste entourant les astres, la terre et tous les phénomènes. Cette enveloppe découpée au sein de l’infini se termine en une zone rare ou dense, dont la dissolution amènera la ruine de tout ce qu’elle contient ; et elle est soit animée d’un mouvement circulaire, soit arrêtée dans le repos. La forme en est ronde, triangulaire ou quelconque. Tous ces cas sont également possibles en effet : car cela n’est contredit par aucun phénomène de notre monde, dans lequel on ne peut pas apercevoir d’extrémité. (89) Il est aisé de comprendre qu’il y a une infinité de mondes tels que celui dont nous parlons, et qu’un monde de cette espèce peut se former soit au sein d’un monde, soit au sein d’un intermonde [metakosmos], mot qui nous sert à désigner un intervalle entre des mondes, cette formation d’un monde pouvant d’ailleurs avoir lieu même dans un espace en partie rempli, mais contenant beaucoup de vide, mais non pas, comme certains l’ont dit dans une vaste étendue de vide pur. La constitution d’un monde résulte de certains atomes appropriés qui ont afflué hors d’un monde ou d’un intermonde, ou bien hors de plusieurs mondes ou intermondes ; ces atomes, peu à peu, s’ajoutent les uns aux autres, s’organisent, vont même dans un autre lieu à l’occasion, reçoivent, jusqu’à l’achèvement du monde commencé, des courants d’atomes appropriés, et l’assemblage dure tant que ses fondements peuvent supporter les accroissements qui lui arrivent. (90) Car il ne suffit pas, pour produire un monde, qu’il se forme dans un lieu où un monde peut naître, c’est-à-dire, comme on prétend, dans le vide, un rassemblement d’atomes et un tourbillon – cet assemblage s’accroissant sous la seule loi de la nécessité, jusqu’à ce qu’il aille en heurter un autre. Cette opinion d’un de ceux qu’on appelle ‟physiciens” [*Démocrite] est en contradiction avec les phénomènes. Le soleil, la lune et les autres astres n’ont pas préexisté au monde où plus tard ils se seraient seulement trouvés compris : leur formation ne date que du commencement même du monde, et ils ont crû à la faveur d’apports et de tourbillons de certaines substances aux parties subtiles, de la nature du souffle ou de celle du feu ou de la nature de l’un et de l’autre : car c’est là ce que suggère la sensation. »

  1. Tout comme le nôtre, chaque monde est une portion circonscrite de l’univers qui s’est détachée et découpée en son sein en se concentrant à un endroit (topos) où se trouvent, comme dans le nôtre, des astres, la Terre et tous les phénomènes que nous observons, dont les phénomènes célestes. Les autres mondes sont pensés sur le modèle du nôtre : chaque monde est animé par un mouvement circulaire (c’est la circonvolution astrale) ou est en repos ; sa forme peut être ronde, triangulaire ou autre. Concernant notre propre monde, nous n’en savons rien faute de pouvoir en percevoir les extrémités : Épicure défait la conception sphérique de notre monde forgée à partir de la forme globale de la voûte céleste [cf. le Traité du Ciel d’Aristote].

5. Ces mondes en nombre infini peuvent se former au sein d’un monde ou à partir d’un intermonde (metakosmos) qui, par contraste avec un monde, est composé de la matière subtile qu’est l’éther. Il y a donc une différence entre l’espace vide et l’éther : ce qui est dans l’espace interstellaire n’est pas rien. Les mondes se forment dans un espace contenant beaucoup de vide sans être complètement vide par une affluence d’atomes provenant d’un ou de plusieurs de ces mondes ou de ces intermondes. Ces atomes qui affluent s’agrègent ou se relient, recevant en sus des courants d’atomes du moins tant que le monde en question peut en supporter : il est ensuite achevé. Car il ne suffit pas d’avoir tourbillon et rassemblement sous la seule loi de la nécessité : pour échapper à ce nécessitarisme, Épicure introduit le hasard (tuchè) sous la figure physique de la déclinaison des atomes qui leur permet de se rencontrer au lieu de tomber dans le vide [le clinamen de Lucrèce]. C’est qu’il lui faut préserver la contingence du monde, et ne pas penser que l’on a affaire à quelque chose de parfait. Les choses se produisent en effet par le hasard, par nous-mêmes ou par la nécessité (des tourbillons). Ce n’est pas dans le monde que les astres se forment de cette même manière, par l’affluence des atomes : les astres qui font partie du monde se forment en même temps que le monde, dont le mouvement provient d’un tourbillon du Ciel ou des astres eux-mêmes, qui est produit par la nécessité dès l’origine du monde, par exemple les planètes à la circonvolution régulière (soleil, lune) ou à la courbe errante (mouvement rétrograde les planètes). À l’origine, on ne sait pas si c’était le ciel ou bien chacun des astres qui tournaient. Ce qui est important, c’est de comprendre que les astres se sont formés ensemble : ils se sont constitués en même temps en un monde [*comme s’il y avait une co-institution du tout à partir de ses composants]. À partir de là, Épicure peut expliquer tous les phénomènes célestes (météores, éclipses, etc.), météorologiques (nuages, tonnerre, cyclones, arc-en-ciel, etc.) et terrestres (tremblements de terre, grêle, neige, rosée, givre, glace, etc.) : sur cette base, il est possible de faire des prévisions (p. 115).

*

En somme, Épicure propose une rationalisation du monde naturel qui consiste à substituer à la manière mythologique de rendre compte du monde une explication naturaliste des phénomènes naturels qui repose uniquement sur l’observation de la nature sans insuffler de signification symbolique ou métaphysique dans le monde naturel. Dans le monde d’Épicure, il y a de la matière mais pas de sens. Comme l’indique le début de la lettre à Hérodote, l’objectif éthique de la physique épicurienne est de rassurer l’être humain sur la condition mortelle de son être au monde. Pour vivre heureux dans le monde naturel, il faut cesser de se poser la question du sens afin de pouvoir apprécier tout naturellement la vie tout en sachant qu’on va mourir.

« Mets-toi dans l’esprit que la mort n’est rien par rapport à nous, puisque tout bien et tout mal est dans la sensation. Or la mort est la privation de la sensation. De là une connaissance droite du fait que la mort n’est rien par rapport à nous, fait de la mortalité de l’existence un sujet de réjouissance, non en ajoutant un temps inaccessible mais en enlevant le désir d’immortalité. » 

ὅθεν γνῶσις ὀρθὴ τοῦ μηθὲν εἶναι πρὸς ἡμᾶς τὸν θανατον ἀπολαυστὸν ποιεῖ τὸ τῆς ζωῆς θνητόν, οὺκ ἄπορον προστιθεῖσα χρόνον, ἀλλὰ τὸν τῆς ἀθανασίας ἀφελομένη πόθον. (p. 124)

 

3.     Un monde naturel ordonné par la providence (divine de la raison) universelle

4.     La vision antique du monde naturel comme cosmos clos (l’héritage aristotélico-ptoléméen)

Platon (428-347 av. J.-C.) à Athènes
Phédon (99c-99a)
Mais un jour, ayant entendu quelqu’un lire dans un livre, dont l’auteur était, disait-il, Anaxagore, que c’est l’esprit qui est l’organisateur et la cause de toutes choses, l’idée de cette cause me ravit et il me sembla qu’il était en quelque sorte parfait que l’esprit fût la cause de tout. S’il en est ainsi, me dis-je, l’esprit ordonnateur dispose tout et place chaque objet de la façon la meilleure. Si donc on veut découvrir la cause qui fait que chaque chose naît, périt ou existe, il faut trouver quelle est pour elle la meilleure manière d’exister ou de supporter ou de faire quoi que ce soit. En vertu de ce raisonnement, l’homme n’a pas autre chose à examiner, dans ce qui se rapporte à lui et dans tout le reste, que ce qui est le meilleur et le plus parfait, avec quoi il connaîtra nécessairement aussi le pire, car les deux choses relèvent de la même science. En faisant ces réflexions, je me réjouissais d’avoir trouvé dans la personne d’Anaxagore un maître selon mon cœur pour m’enseigner la cause des êtres. Je pensais qu’il me dirait d’abord si la terre est plate ou ronde et après cela qu’il m’expliquerait la cause et la nécessité de cette forme, en partant du principe du mieux, et en prouvant que le mieux pour elle, c’est d’avoir cette forme, et s’il disait que la terre est au centre du monde, qu’il me ferait voir qu’il était meilleur qu’elle fût au centre. S’il me démontrait cela, j’étais prêt à ne plus demander d’autre espèce de cause. De même au sujet du soleil, de la lune et des autres astres, j’étais disposé à faire les mêmes questions, pour savoir, en ce qui concerne leurs vitesses relatives, leurs changements de direction et les autres accidents auxquels ils sont sujets, en quoi il est meilleur que chacun fasse ce qu’il fait et souffre ce qu’il souffre. Je n’aurais jamais pensé qu’après avoir affirmé que les choses ont été ordonnées par l’esprit, il pût leur attribuer une autre cause que celle-ci : c’est le mieux qu’elles soient comme elles sont. Aussi je pensais qu’en assignant leur cause à chacune de ces choses en particulier et à toutes en commun, il expliquerait en détail ce qui est le meilleur pour chacune et ce qui est le bien commun à toutes. Et je n’aurais pas donné pour beaucoup mes espérances ; mais prenant ses livres en toute hâte, je les lus aussi vite que possible, afin de savoir aussi vite que possible le meilleur et le pire.
XLVII. — Mais je ne tardai pas, camarade, à tomber du haut de cette merveilleuse espérance. Car, avançant dans ma lecture, je vois un homme qui ne fait aucun usage de l’intelligence et qui, au lieu d’assigner des causes réelles à l’ordonnance du monde, prend pour des causes l’air, l’éther, l’eau et quantité d’autres choses étranges. Il me sembla que c’était exactement comme si l’on disait que Socrate fait par intelligence tout ce qu’il fait et qu’ensuite, essayant de dire la cause de chacune de mes actions, on soutînt d’abord que, si je suis assis en cet endroit, c’est parce que mon corps est composé d’os et de muscles, que les os sont durs et ont des joints qui les séparent, et que les muscles, qui ont la propriété de se tendre et de se détendre, enveloppent les os avec les chairs et la peau qui les renferme, que, les os oscillant dans leurs jointures, les muscles, en se relâchant et se tendant, me rendent capable de plier mes membres en ce moment et que c’est la cause pour laquelle je suis assis ici les jambes pliées. C’est encore comme si, au sujet de mon entretien avec vous, il y assignait des causes comme la voix, l’air, l’ouïe et cent autres pareilles, sans songer à donner les véritables causes, à savoir que, les Athéniens ayant décidé qu’il était mieux de me condamner, j’ai moi aussi, pour cette raison, décidé qu’il était meilleur pour moi d’être assis en cet endroit et plus juste de rester ici et de subir la peine qu’ils m’ont imposée. Car, par le chien, il y a beau temps, je crois, que ces muscles et ces os seraient à Mégare ou en Béotie, emportés par l’idée du meilleur, si je ne jugeais pas plus juste et plus beau, au lieu de m’évader et de fuir comme un esclave, de payer à l’État la peine qu’il ordonne.
Ἀλλ᾽ ἀκούσας μέν ποτε ἐκ βιβλίου τινός, ὡς ἔφη, Ἀναξαγόρου [97c] ἀναγιγνώσκοντος, καὶ λέγοντος ὡς ἄρα νοῦς ἐστιν ὁ διακοσμῶν τε καὶ πάντων αἴτιος, ταύτῃ δὴ τῇ αἰτίᾳ ἥσθην τε καὶ ἔδοξέ μοι τρόπον τινὰ εὖ ἔχειν τὸ τὸν νοῦν εἶναι πάντων αἴτιον, καὶ ἡγησάμην, εἰ τοῦθ᾽ οὕτως ἔχει, τόν γε νοῦν κοσμοῦντα πάντα κοσμεῖν καὶ ἕκαστον τιθέναι ταύτῃ ὅπῃ ἂν βέλτιστα ἔχῃ· εἰ οὖν τις βούλοιτο τὴν αἰτίαν εὑρεῖν περὶ ἑκάστου ὅπῃ γίγνεται ἢ ἀπόλλυται ἢ ἔστι, τοῦτο δεῖν περὶ αὐτοῦ εὑρεῖν, ὅπῃ βέλτιστον αὐτῷ ἐστιν ἢ εἶναι ἢ [97d] ἄλλο ὁτιοῦν πάσχειν ἢ ποιεῖν· ἐκ δὲ δὴ τοῦ λόγου τούτου οὐδὲν ἄλλο σκοπεῖν προσήκειν ἀνθρώπῳ καὶ περὶ αὐτοῦ ἐκείνου καὶ περὶ τῶν ἄλλων ἀλλ᾽ ἢ τὸ ἄριστον καὶ τὸ βέλτιστον. ἀναγκαῖον δὲ εἶναι τὸν αὐτὸν τοῦτον καὶ τὸ χεῖρον εἰδέναι· τὴν αὐτὴν γὰρ εἶναι ἐπιστήμην περὶ αὐτῶν. Ταῦτα δὴ λογιζόμενος ἅσμενος ηὑρηκέναι ᾤμην διδάσκαλον τῆς αἰτίας περὶ τῶν ὄντων κατὰ νοῦν ἐμαυτῷ, τὸν Ἀναξαγόραν, καί μοι φράσειν πρῶτον μὲν πότερον ἡ γῆ πλατεῖά ἐστιν ἢ [97e] στρογγύλη, ἐπειδὴ δὲ φράσειεν, ἐπεκδιηγήσεσθαι τὴν αἰτίαν καὶ τὴν ἀνάγκην, λέγοντα τὸ ἄμεινον καὶ ὅτι αὐτὴν ἄμεινον ἦν τοιαύτην εἶναι· καὶ εἰ ἐν μέσῳ φαίη εἶναι αὐτήν, ἐπεκδιηγήσεσθαι ὡς ἄμεινον ἦν αὐτὴν ἐν μέσῳ εἶναι· καὶ εἴ μοι [98a] ταῦτα ἀποφαίνοι, παρεσκευάσμην ὡς οὐκέτι ποθεσόμενος αἰτίας ἄλλο εἶδος. Καὶ δὴ καὶ περὶ ἡλίου οὕτω παρεσκευάσμην ὡσαύτως πευσόμενος, καὶ σελήνης καὶ τῶν ἄλλων ἄστρων, τάχους τε πέρι πρὸς ἄλληλα καὶ τροπῶν καὶ τῶν ἄλλων παθημάτων, πῇ ποτε ταῦτ᾽ ἄμεινόν ἐστιν ἕκαστον καὶ ποιεῖν καὶ πάσχειν ἃ πάσχει. Οὐ γὰρ ἄν ποτε αὐτὸν ᾤμην, φάσκοντά γε ὑπὸ νοῦ αὐτὰ κεκοσμῆσθαι, ἄλλην τινὰ αὐτοῖς αἰτίαν ἐπενεγκεῖν ἢ ὅτι βέλτιστον αὐτὰ οὕτως ἔχειν [98b] ἐστὶν ὥσπερ ἔχει· ἑκάστῳ οὖν αὐτῶν ἀποδιδόντα τὴν αἰτίαν καὶ κοινῇ πᾶσι τὸ ἑκάστῳ βέλτιστον ᾤμην καὶ τὸ κοινὸν πᾶσιν ἐπεκδιηγήσεσθαι ἀγαθόν· καὶ οὐκ ἂν ἀπεδόμην πολλοῦ τὰς ἐλπίδας, ἀλλὰ πάνυ σπουδῇ λαβὼν τὰς βίβλους ὡς τάχιστα οἷός τ᾽ ἦ ἀνεγίγνωσκον, ἵν᾽ ὡς τάχιστα εἰδείην τὸ βέλτιστον καὶ τὸ χεῖρον.
XLVII Ἀπὸ δὴ θαυμαστῆς ἐλπίδος, ὦ ἑταῖρε, ᾠχόμην φερόμενος, ἐπειδὴ προϊὼν καὶ ἀναγιγνώσκων ὁρῶ ἄνδρα τῷ μὲν νῷ οὐδὲν χρώμενον οὐδέ τινας αἰτίας ἐπαιτιώμενον εἰς τὸ [98c] διακοσμεῖν τὰ πράγματα, ἀέρας δὲ καὶ αἰθέρας καὶ ὕδατα αἰτιώμενον καὶ ἄλλα πολλὰ καὶ ἄτοπα. Καί μοι ἔδοξεν ὁμοιότατον πεπονθέναι ὥσπερ ἂν εἴ τις λέγων ὅτι Σωκράτης πάντα ὅσα πράττει νῷ πράττει, κἄπειτα ἐπιχειρήσας λέγειν τὰς αἰτίας ἑκάστων ὧν πράττω, λέγοι πρῶτον μὲν ὅτι διὰ ταῦτα νῦν ἐνθάδε κάθημαι, ὅτι σύγκειταί μου τὸ σῶμα ἐξ ὀστῶν καὶ νεύρων, καὶ τὰ μὲν ὀστᾶ ἐστιν στερεὰ καὶ διαφυὰς ἔχει χωρὶς ἀπ᾽ ἀλλήλων, τὰ δὲ νεῦρα οἷα ἐπιτείνεσθαι [98d] καὶ ἀνίεσθαι, περιαμπέχοντα τὰ ὀστᾶ μετὰ τῶν σαρκῶν καὶ δέρματος ὃ συνέχει αὐτά· αἰωρουμένων οὖν τῶν ὀστῶν ἐν ταῖς αὑτῶν συμβολαῖς χαλῶντα καὶ συντείνοντα τὰ νεῦρα κάμπτεσθαί που ποιεῖ οἷόν τ᾽ εἶναι ἐμὲ νῦν τὰ μέλη, καὶ διὰ ταύτην τὴν αἰτίαν συγκαμφθεὶς ἐνθάδε κάθημαι· καὶ αὖ περὶ τοῦ διαλέγεσθαι ὑμῖν ἑτέρας τοιαύτας αἰτίας λέγοι, φωνάς τε καὶ ἀέρας καὶ ἀκοὰς καὶ ἄλλα μυρία [98e] τοιαῦτα αἰτιώμενος, ἀμελήσας τὰς ὡς ἀληθῶς αἰτίας λέγειν, ὅτι, ἐπειδὴ Ἀθηναίοις ἔδοξε βέλτιον εἶναι ἐμοῦ καταψηφίσασθαι, διὰ ταῦτα δὴ καὶ ἐμοὶ βέλτιον αὖ δέδοκται ἐνθάδε καθῆσθαι, καὶ δικαιότερον παραμένοντα ὑπέχειν τὴν δίκην ἣν ἂν κελεύσωσιν· ἐπεὶ νὴ τὸν κύνα, ὡς ἐγᾦμαι, πάλαι ἂν [99a] ταῦτα τὰ νεῦρα καὶ τὰ ὀστᾶ ἢ περὶ Μέγαρα ἢ Βοιωτοὺς ἦν, ὑπὸ δόξης φερόμενα τοῦ βελτίστου, εἰ μὴ δικαιότερον ᾤμην καὶ κάλλιον εἶναι πρὸ τοῦ φεύγειν τε καὶ ἀποδιδράσκειν ὑπέχειν τῇ πόλει δίκην ἥντιν᾽ ἂν τάττῃ.
Aristote (384-322 av. J.-C.)
 τὰ γὰρ μόρια ἐν τόπῳ πως πάντα· ἐπὶ τῷ κύκλῳ γὰρ περιέχει ἄλλο ἄλλο. Διὸ κινεῖται μὲν κύκλῳ τὸ ἄνω, τὸ δὲ πᾶν οὔ που. Τὸ γάρ που αὐτό τέ ἐστί τι, καὶ ἔτι ἄλλο τι δεῖ εἶναι παρὰ τοῦτο ἐν ᾧ, ὃ περιέχει· παρὰ δὲ τὸ πᾶν καὶ ὅλον οὐδέν ἐστιν ἔξω τοῦ παντός,  9 καὶ διὰ τοῦτο ἐν τῷ οὐρανῷ πάντα· ὁ γὰρ οὐρανὸς τὸ πᾶν ἴσως. Ἔστι δ' ὁ τόπος οὐχ ὁ οὐρανός, ἀλλὰ τοῦ οὐρανοῦ τι τὸ ἔσχατον καὶ ἁπτόμενον τοῦ κινητοῦ σώματος [πέρας ἠρεμοῦν]. 10 Καὶ διὰ τοῦτο ἡ μὲν γῆ ἐν τῷ ὕδατι, τοῦτο δ' ἐν τῷ ἀέρι, οὗτος δ' ἐν τῷ αἰθέρι, ὁ δ' αἰθὴρ ἐν τῷ οὐρανῷ, ὁ δ' οὐρανὸς οὐκέτι ἐν ἄλλῳ. [Physique, 212b12-22)
les parties si nombreuses du ciel ne sont dans un lieu qu'à certains égards. En effet, dans le cercle, une partie en enveloppe une autre ; et voilà pourquoi le haut du ciel n'a qu'un mouvement circulaire. Mais l'univers, le tout ne peut être en un certain lien ; car, pour qu'un objet soit dans un lieu, il faut d'abord que cet objet soit lui-même quelque chose, et il faut qu'il y ait en outre quelque chose dans quoi il est, quelque chose qui l'enveloppe. Mais en dehors du tout et de l'univers, il ne peut rien y avoir qui soit indépendant de ce tout et de cet ensemble universel§ 9. Aussi toutes les choses sont-elles dans le ciel sans la moindre exception ; car le ciel c'est l'univers, à ce qu'on peut supposer ; et le lieu n'est pas le ciel, mais une certaine extrémité du ciel, la limite immuable confinant et touchant au corps qui est en mouvement. § 10. Ainsi la terre est dans l'eau ; l'eau est dans l'air; l'air lui-même est dans l'éther ; et l'éther est dans le ciel. Mais le ciel, l'univers, n'est plus dans autre chose.