cours de philosophie générale

Dans sa phase initiale, le cours se présente l’air de rien sous la figure d’une dissertation construite en deux temps trois mouvements, puisque le troisième moment est moins traité qu’indiqué. Il s’agit en effet de montrer que la pensée occidentale prend, depuis les Grecs, la forme d’une réflexion critique qui présuppose, pour pouvoir prendre position, d’avoir compris et donc de com-prendre deux thèses contradictoires en opposition frontale [par convention, A vs Ā]. Mais le débat commence, à proprement parler, lorsque les thèses argumentées se répondent et s’opposent mutuellement des objections qui contestent les présupposés de l’autre position ou pointent des failles dans l’argumentation adverse. Il existe de facto sept objections formelles qui se trouvent employées dans les textes philosophiques : confusion entre deux concepts, illusion, contradiction entre deux propositions, généralisation abusive d’un cas particulier ; erreur de raisonnement (ou paralogisme), présupposé injustifié, raisonnement unilatéral. La pensée est correctement construite lorsqu’elle est capable de justifier sa progression d’une thèse à l’autre par une objection conséquente. Le cours du premier semestre le montre par deux fois et, la première fois, en réfléchissant de surcroît sur le sens du processus éducatif et, donc, sur le procédé ou la méthode qu’il convient d’employer pour avancer dans la réflexion :

    1. Les sens du processus éducatif : instruire (Hegel) ou former l’esprit critique (Kant)
    2. Vie ou existence humaine ? Entre éthique du plaisir de vivre (Épicure) et morale de la justice au nom du Bien (Platon)

À la faveur des inspirations du moment, le cours programmé est entrecoupé de digressions qui peuvent anticiper de futures explications ou bien encore analyser l’actualité en se servant de catégories élaborées dans d’autres cours. C’est le cas, par exemple, lorsque la distinction élaborée par ailleurs entre plusieurs niveaux de violence est mobilisée pour mieux comprendre les guerres en cours, les actes terroristes ou les violences criminelles :

    1. contraindre par la force, au lieu de convaincre par la parole (en plaidant par exemple au tribunal), revient à faire violence en imposant quelque chose à quelqu’un sans avoir son consentement (βίᾳ s’oppose ici à ἔπει) ;

1-2. Si le boycott alimentaire d’un pays revient bien à faire violence à toute une population en la mettant sous pression psychologique et physiologique, d’une manière plus ou moins importante selon le rapport de force entre puissances et la situation économique du pays, ce type de mesure a pour effet très brutal de provoquer des violences effectives, comme le décès des nourrissons et la sous-alimentation de la population, alors que ces violences ne sont pas commises2 à proprement parler. Faire violence à1 quelqu’un en le mettant sous pression pour extorquer son consentement, ou en usant même de la force physique pour le pousser à faire quelque chose sans le brutaliser ou le violenter pour autant, ce n’est pas encore commettre une violence2, mais cela peut provoquer1-2 indirectement des violences en effet.

    1. commettre une violence par un acte agressif qui s’attaque et porte atteinte à l’intégrité de quelqu’un ;
    2. s’adonner sadiquement à une ultra-violence exacerbée et déchaînée, à la fois excessive et transgressive (ὕβρις), qui se complaît dans le simple fait de perpétrer des violences, simplement ou excessivement, cruelles, par exemple pour se venger.
Montaigne, Les Essais

Ils [*les Tupinamba] ont leurs guerres contre les nations qui sont au delà de leurs montaignes, plus avant en la terre ferme, ausquelles ils vont tous nuds, n’ayant autres armes que des arcs ou des espées de bois, apointées par un bout, à la mode des langues de noz espieuz. C’est chose esmerveillable que de la fermeté de leurs combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et effusion de sang ; car, de routes et d’effroy, ils ne sçavent que c’est. Chacun raporte pour son trophée la teste de l’ennemy qu’il a tué, et l’attache à l’entrée de son logis. Apres avoir long temps bien traité leurs prisonniers, et de toutes les commoditez dont ils se peuvent aviser, celuy qui en est le maistre, faict une grande assemblée de ses cognoissans : il attache une corde à l’un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient, esloigné de quelques pas, de peur d’en estre offencé, et donne au plus cher de ses amis l’autre bras à tenir de mesme ; et eux deux, en presence de toute l’assemblée, l’assomment à coups d’espée. Cela faict, ils le rostissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis qui sont absens. Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisoient anciennement les Scythes : c’est pour representer une extreme vengeance. Et qu’il soit ainsi, ayant apperçeu que les Portuguois, qui s’estoient r’alliez à leurs adversaires [*les Tupinankin], usoient d’une autre sorte de mort contre eux, quand ils les prenoient, qui estoit de les enterrer jusques à la ceinture, et tirer au demeurant du corps force coups de traict, et les pendre apres : ils penserent que ces gens icy de l’autre monde, comme ceux qui avoyent semé la connoissance de beaucoup de vices parmy leur voisinage, et qui estoient beaucoup plus grands maistres qu’eux en toute sorte de malice, ne prenoient pas sans occasion cette sorte de vengeance, et qu’elle devoit estre plus aigre que la leur, commencerent de quitter leur façon ancienne pour suivre cette-cy. Je ne suis pas marry que nous remerquons l’horreur barbaresque qu’il y a en une telle action, mais ouy bien dequoy, jugeans bien de leurs fautes, nous soyons si aveuglez aux nostres. Je pense qu’ il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à deschirer, par tourmens et par geénes, un corps encore plein de sentiment, le faire rostir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l’avons, non seulement leu, mais veu de fresche memoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous pretexte de pieté et de religion), que de le rostir et manger apres qu’il est trespassé. [livre I, chap. 31 "Des cannibales"]

Les morts je ne les plains guere, et les envierois plustost ; mais je plains bien fort les mourans. Les Sauvages ne m’offensent pas tant, de rostir et manger les corps des trespassez, que ceux qui les tourmentent et persecutent vivans. Les executions mesme de la justice, pour raisonnables qu’elles soient, je ne les puis voir d’une veuë ferme. [...] Quant à moy, en la justice mesme, tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure cruauté : Et notamment à nous, qui devrions avoir respect d’en envoyer les ames en bon estat ; ce qui ne se peut, les ayant agitées et desesperées par tourmens insupportables. [...] Je vy en une saison en laquelle nous abondons en exemples incroyables de ce vice, par la licence de noz guerres civiles : et ne voit on rien aux histoires anciennes, de plus extreme, que ce que nous en essayons tous les jours. Mais cela ne m’y a nullement apprivoisé. A peine me pouvoy-je persuader, avant que je l’eusse veu, qu’il se fust trouvé des ames si farouches, qui pour le seul plaisir du meurtre, le voulussent commettre ; hacher et destrancher les membres d’autruy ; aiguiser leur esprit à inventer des tourmens inusitez, et des morts nouvelles, sans inimitié, sans proufit, et pour cette seule fin, de jouïr du plaisant spectacle, des gestes, et mouvemens pitoyables, des gemissemens, et voix lamentables, d’un homme mourant en angoisse. Car voyla l’extreme poinct, où la cruauté puisse atteindre. [livre II, chap.11 "De la cruauté"]

Après la digression, plus ou moins longue, le cours ne peut que reprendre son cours programmé qui le mènera à retrouver, à un moment donné ou à un autre, la réflexion engagée par la digression : par exemple, lorsqu’il sera question de la justification par Thrasymaque de la violence tyrannique [Platon, République, livre I, 344a-c ; trad. E. Brandy, Les Belles Lettres, 1959, p. 30-31].

Conformément au programme officiel, le cours se déroule en plusieurs temps : après la séquence introductive sur les sens du processus éducatif, le premier moment du cours porte sur Connaître : science et métaphysique, alors que le second moment du cours s’interroge sur Agir en société : de l’éthique à la politique.

Quelques corrigés de dissertation sont proposés par ailleurs en contrepoint du début du cours enregistré à l'automne 2020...