per turbas ?

Décrété dans le monde entier depuis mars 2020, l’état d’urgence sanitaire est un bel exemple de perturbation, dont l’origine disparaît dans les limbes de l’histoire naturelle et socioculturelle des virus pour se métamorphoser, à notre époque, en biopolitique totalitaire d’États propageant une phobie hystérique avec la complicité du système médiatique, dans l’objectif stratégique de justifier un état d’exception qui suspend, en contradiction avec le droit constitutionnel en vigueur, d’importantes libertés fondamentales [voir la série covid-mania].

Dans ce cas, l’enchaînement de perturbations en tout genre illustre de manière exemplaire l’inanité du désir d’en finir avec la perturbation, la règle normative qui entend y mettre fin ne faisant que perturber la perturbation. Il est donc vain, à l’instar des partisans de l’ordre établi, de croire pouvoir conjurer toute perturbation par l’établissement de normes, culturelles ou religieuses, éthiques ou juridiques, scientifiques ou esthétiques, etc. Faut-il pour autant préconiser de procéder per turbas ?

du principe de perturbation

Lui-même perturbé par la Révolution française, dont l’événement l’enthousiasme, Kant semble se contredire à vouloir, malgré tout, défendre le droit établi contre la régénération d’une Constitution par le moyen trouble d’une émeute (per turbas agitur). Une théorie critique de l’émancipation doit comprendre, c’est-à-dire intégrer et concevoir de manière compréhensive, le soulèvement (stasis) autonome d’un peuple comme une dynamique politique de régénération de la vie publique, dont le mouvement subversif est susceptible de perturber fertilement relations sociales et institutions politiques.

La turba est le trouble d’une foule en pleine confusion, dont la cohue désordonnée a été provoquée par une querelle. Le latin turba est apparenté au grec turbè (tumulte), qui désigne en particulier la danse tumultueuse lors des fêtes bacchanales : exemple parmi d’autres d’une mise en scène culturelle de la perturbation des normes collectives d’une société humaine par le désordre cosmique. C’est que le trouble de l’ordre public n’est pas la seule forme de perturbation. Complétant le spectre sémantique de la turba, le latin turbo peut désigner la révolution d’un astre ou le tourbillon circulaire, en particulier du vent, qui peut se développer en cyclone : au figuré, le terme caractérise le vertige de l’âme torturée ou la tourmente politique que provoquent des perturbateurs de la république.

Le principe de perturbation manifeste ainsi sa puissance universelle, au niveau des affaires humaines et au sein des phénomènes naturels, dont les intempéries ne sont qu’un épiphénomène. En plus d’assumer le principe de contradiction qui en procède, il faudrait donc assumer le principe de perturbation.

profession de foi critique

… la perturbation est au principe de la vie. Le trouble au cœur de la vie personnelle ou le trouble de l’ordre public sont en gestation de nouvelles formes de vie. Au lieu de s’en effrayer, il faudrait, par principe, assumer les perturbations en cours et s’ouvrir à l’expérience perturbante de l’altérité. L’art d’interpréter vise, en ce sens, à accueillir l’altérité, au niveau individuel des épreuves de l’amour et du deuil, tout comme au niveau collectif de la tragédie des guerres et des révolutions. Face aux perturbations en tout genre, deux options s’offrent :

l’optique sociale d’une éthique du différend amical et d’une politique du conflit social
                                                ou, au contraire,
l’optique antisociale de l’intensification polémique de la violence antisociale et/ou de l’hostilité personnelle.

À notre époque, le processus polémique de soumission généralisée des populations d’individus est devenu hégémonique sous la triple catégorie de la domination despotique, de l’exploitation économique et de l’aliénation culturelle. La vie personnelle des individus sociaux étant configurée par la vie publique des collectifs, le diagnostic de l’époque que ce site rend public porte, en premier lieu et principalement, sur la dimension collective de ce processus polémique. Il s’agirait – c’est le projet critique – de le perturber par un mouvement social de facture politique qui s’engagerait, à l’inverse, dans le sens de l’émancipation.

Un diagnostic d’époque doit, à cet égard, impérativement distinguer entre processus et mouvement. Le processus actuellement en cours dans le monde est une “politique” de globalisation planétaire qui répond à l’exigence qu’a le Capital transnational d’exploiter les « ressources » tout autant naturelles qu’humaines. Un mouvement socio-politique d’émancipation ne peut que s’opposer, en et par principe, à un tel processus de domination globalitaire. L’objectif du diagnostic serait de déterminer si l’époque est en gestation d’un tel mouvement de résistance au processus de soumission polémique des forces sociales et politiques qui s’impose à l’heure actuelle.

Cette déclaration de principe constitue une profession de foi en faveur de la création social-historique de formes de vie sociale et politique qui seraient susceptibles de bouleverser les rapports actuellement dominants. L’humain étant devenu au cours du temps le perturbateur principal des relations sur Terre, l’analyse de la situation actuelle équivaut à un diagnostic des rapports que les cultures humaines entretiennent avec la nature et entre elles. Le processus, actuellement en cours, de destruction des liens sociaux se produit sur ces deux plans : sur le plan, dit écologique, mais tout autant social, des interactions naturelles (au sein du complexe de vie entre êtres animés et inanimés, entre minéraux, végétaux et animaux) ; et sur le plan, dit politique, qui est proprement humain, des relations culturelles ou sociales (entre les différentes sociétés et à l’intérieur de chacune d’entre elles).

Le projet d’élaborer une théorie critique des systèmes de soumission, actuellement hégémoniques dans le monde entier, suppose d’interroger les sociétés à présent confrontées au processus polémique de globalisation néolibérale du système capitaliste et productiviste, en adoptant plusieurs angles d’analyse, à savoir :

1) le niveau fondamental de leur inscription écologique dans la nature,
2) le plan de leur constitution intrinsèque comme système (anti)social
et 3) le niveau de leurs relations mutuelles au niveau mondial.

Il s’agit d’avancer dans la compréhension des processus sociopolitiques, socio-économiques et socioculturels, comme dans l’analyse des ressorts pulsionnels qui sont actifs dans les sociétés contemporaines, et ce dans l’objectif d’en dégager le potentiel émancipatoire tout autant que d’élucider ce qui l’entrave. Les rubriques du site en ressortent :

  • physis (nature), comme objet d’une philosophie de la nature, qui refuse sa réduction à la matière ;
  • societas (société), comme objet d’une philosophie du sens social, qui reconnaît, au fondement de toute société, la matrice ancestrale du don contre don pour l’opposer à la logique antisociale du système de soumission polémique qui domine les sociétés actuelles ;
  • polis (cité), comme objet d’une philosophie du sens politique, qui déconstruit la confusion entre conflit et guerre ;
  • pólemos (guerre), comme objet corollaire d’une théorie critique de la société politique, qui récuse la logique polémique ;
  • inconscient vs psychè (souffle ou esprit pulsionnel), comme objet d’une réflexion de facture psychanalytique sur le tréfonds pulsionnel du système psychique des individus et des collectifs ;
  • ethos (manière d’être au monde), comme objet d’une philosophie du sens éthique, qui rejette moralisme et conformisme ;
  • en contrepoint, hermeneuia (interprétation), comme objet d’une discipline de réflexion méthodique sur la manière d’envisager les phénomènes et les textes.