Kant – un réformisme révolutionnaire

Comme l’explique l’onglet polis, l’étude de la position politique de Kant entre réforme et révolution s’inscrit dans le cadre de l’élaboration d’une théorie critique du réformisme moderne, dont c’est le volet positif ou constructif.

Il s’agit de montrer que Kant, à l’époque de la Révolution, défend une option politique qu’il crée : le réformisme révolutionnaire. Sans jamais transiger sur les principes intemporels du droit, Kant reconnaît la nécessité pragmatique de prendre en compte le moment propice pour les appliquer et, donc, d’en différer la réalisation en fonction des circonstances (voir, à ce propos, le cours sur la Paix perpétuelle). L’événement historique de la Révolution est, selon Kant, un appel de la nature qui constitue une occasion providentielle à saisir pour transformer de fond en comble l’État.

L’élucidation de la signification de la politique de Kant repose sur deux ouvrages publiés par Miguel Abensour, dont, en premier lieu, une traduction commentée de l’ultime ouvrage de Kant (en voir la recension dans Le Monde des livres).

C. Ferrié, présentation, annotation et postface de la traduction de Kant, Le Conflit des Facultés et autres textes sur la révolution (395 p.), « Critique de la politique », Payot, 2015.

Cette traduction du Conflit des Facultés, en premier lieu, corrige une erreur éditoriale qui déséquilibre la composition de l’ouvrage de 1798 (la première section est divisée en une introduction générale et la section sur le conflit théologico-politique). En outre, cette nouvelle édition de l’ouvrage en éclaire la genèse en publiant, d’une part, une série de textes sur le droit de rébellion (avant 1789), puis sur la Révolution (seconde partie) et, d’autre part, les premières moutures de la seconde section qui porte sur le conflit juridico-politique (troisième partie). L’ensemble est complété par un glossaire et diverses annexes, dont l’une rassemble des témoignages à propos de Kant et la Révolution française. La postface intitulée « Le testament politique de Kant » montre que Le Conflit des Facultés esquisse un modèle de théorie critique des doctrines idéologiques au triple niveau de la religion, du droit et de la médecine: ce qui constitue une avancée dans le sens de l’analyse de la modernité politique.

C. Ferrié, La politique de Kant – un réformisme révolutionnaire (492 p.), « Critique de la politique », Payot, mai 2016.

Cet ouvrage décrypte l’esprit révolutionnaire de la pensée politique de Kant. La méthode de cette interprétation de la pensée politique de Kant consiste à penser Kant dans son temps de façon à mieux cerner la signification politique de sa position entre révolution et réforme. Loin d’avoir accepté la dichotomie d’inspiration burkienne entre révolution et réforme, Kant lui oppose en effet un schéma d’articulation d’après lequel la réforme (révolutionnaire) accomplit la révolution. Animé par un esprit révolutionnaire, le réformisme kantien approuve ainsi le processus politique de la républicanisation par le moyen de la réforme, tout en rendant justice à la nécessité du processus naturel de la révolution qui réagit à l’oppression imposée à la liberté. De ce fait, Kant se révèle être le théoricien d’une réforme révolutionnaire qui bouleverse le système monarchique de fond en comble.

C. Ferrié, « Le réformisme en révolution », La pensée, n° 386, Kant en ses révolutions, avril/juin 2016, p. 64-77.

À l’époque de la mondialisation, la réflexion engagée sur la politique entre réforme et révolution autorise un éclairage décapant de la phase actuelle du processus de globalisation néo-libérale : par contraste avec les améliorations conservatrices du système – à l’heure actuelle, c’est désormais la stratégie des courants progressistes –, les « réformes structurelles » qui sont imposées au monde entier sont, en fait, des contre-réformes ou déformes réactionnaires. Autrement dit, le travail autour de Kant et la Révolution française contribue à identifier un des dispositifs qui assurent la domination de l’idéologie néo-libérale dans les esprits. Mais l’élucidation de la position kantienne permet également de dégager une position politique moderne qui s’inscrit ouvertement dans une perspective d’émancipation de la soumission. La déconstruction de la dichotomie entre révolution et réforme, construite en réaction à la Révolution française par le réformisme antirévolutionnaire et reprise à tort par l’antiréformisme révolutionnaire, permet en effet de défendre l’option d’un réformisme révolutionnaire qui émerge au sein du mouvement ouvrier.

C. Ferrié, « Max Adler entre Kant et Marx : une synthèse inédite », Austriaca, n° 80, Les gauches autrichiennes, d’Otto Bauer à Bruno Kreisky, J.-N. Ducange (dir.), Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2015, p. 11-30.
C. Ferrié, « La quadrature kantienne du cercle de l'injustice », in : GEMR, G. Bras (dir.), De l’injustice, PONT 9, 2020, p. 214-227.