La Revue du Mauss publiera prochainement la conclusion du cours!
En voici le résumé, le premier et le dernier §...
III
séance conclusive
Le don d’aimer
comme sens éthique
Le don d’aimer à l’origine du don et du contre-don en est l’élément et le moment d’ordre affectif sans lequel aucune donation ne serait possible. Le don contre don aimant n’est jamais un donnant-donnant équivalent : il n’y a aucune mesure entre ce que la mère donne à l’enfant et ce qu’elle reçoit en retour. Aimer est en ce sens toujours un don et jamais un dû, de sorte que le devoir d’aimer s’avère indu : ce qui vaut plus encore de l’exigence d’une prestation sexuelle au nom du devoir conjugal. La transmutation du don en dû provoque une dégénérescence de la générosité fourvoyée en dévouement sacrificiel. Même si la gratitude est bien due en réponse au don reçu, l’obligation morale et sociale de rendre exige un supplément d’âme pour être convertie en contre-don généreux grâce au don d’aimer.
Le don d’aimer n’est pas plus la grâce d’aimer que l’art d’aimer. Même si le don d’aimer est tout à la fois donné et reçu, ce n’est pourtant pas la grâce d’aimer, laquelle serait donnée comme magiquement à l’être humain, telle une puissance surnaturelle. Ce n’est pas non plus l’art d’aimer, même si le don d’aimer requiert tout un art. Mais qu’est-ce donc alors et en quoi le don d’aimer participe-t-il du don contre don ?
[…]
L’obligation sociale de rendre se convertit en don gracieux. C’est le cas même de la gratitude due qui, par l’effet d’une sorte de transsubstantiation, se sublime en acte gracieux. Initialement focalisée sur le bienfaiteur, la gratitude se transfigure en se diffusant vers d’autres êtres au point de devenir gratitude universelle : gratitude de vivre et d’être, gratitude pour la vie donnée et pour toutes les formes d’être et de vie, gratitude d’aimer la vie et toutes les formes de vie, grâce d’aimer vivre en compagnie des autres êtres, grâce reçue de la nature et à répandre au sein de la nature, grâce d’aimer comme un don naturel à cultiver. Le don lui-même, au sein du don contre don, aurait pour origine le don d’aimer. L’énigme du don d’aimer plongerait ainsi dans la nuit des temps…