societas

irruption du système antisocial

Constitués d’hommes et de femmes, les groupes humains mettent ainsi en place des institutions qui régulent les relations conflictuelles entre sexes, entre groupes sociaux et entre individus, en définissant des normes de comportements pour toutes les activités humaines. Mais la conflictualité constitutive des rapports sociaux peut donner lieu à une agonistique mesurée ou à une polémique démesurée. Cette antinomie à propos de la culture sociale du conflit couvre l’ensemble des rapports de la collectivité socioculturelle à l’altérité en tout genre : nature, autres êtres naturels, autres cultures, autres groupes de même culture, autres individus du groupe propre ou d’autres groupes, etc.

Les différents aspects du rapport à l’altérité sont articulés entre eux. Comme il est expliqué par ailleurs (cf. phusis), l’antinomie sur les sens de la culture (occuper vs coloniser) implique une antinomie sur les sens de l’économie du rapport à la nature que cultivent les sociétés humaines (prélever vs surexploiter), dont la signification vitale est rendue manifeste par l’ampleur actuelle de la crise écologique. La cause en est une intensification inédite du rapport, polémique et/ou antisocial, à la nature, en raison du développement capitaliste d’un système productiviste qui s’avère être destructeur des relations sociales, tout à la fois 1. au niveau des interactions naturelles au sein de la communauté des vivants et 2. sur le plan des interactions culturelles à l’intérieur du groupe social et entre les différentes sociétés. Tous les aspects du rapport polémique à l’altérité étant en corrélation, cette antinomie dédoublée du rapport, social ou antisocial, de la culture et de l’économie à la nature renvoie à une troisième antinomie : l’antinomie sur les sens de la société.

L’élucidation de cette antinomie présuppose une réflexion sur le sens du social qui rende justice à une perturbation de magnitude incommensurable : l’établissement d’une division antisociale, qui scinde les sociétés humaines en deux genres incompatibles et contradictoires. Par contraste avec la perturbation originaire qui préside à la naissance des cultures humaines, l’institution de sociétés divisées et hiérarchisées peut être considérée comme la perturbation principale au niveau sociopolitique. La perturbation principale est sanctionnée par l’établissement d’un principe de commandement séparé, c’est-à-dire d’un centre de décision aux ordres d’un prince armé et sacré. La perturbation principale est ipso facto une subversion hiérarchique de l’ordre social qui consiste, conformément à l’étymologie grecque du terme hiérarchie, à rendre sacré (hieros) le pouvoir coercitif de commandement (archè). Les sociétés issues de la perturbation principale et, donc, divisées par la subversion hiérarchique établissent différents systèmes de soumission qui reposent, en première et en dernière instance, sur la séparation de ce centre de pouvoir coercitif, désormais en position de dominer et d’exploiter une société devenue impuissante, brisée qu’elle est par une forme pathologique d’aliénation volontaire à la servitude : le groupe social doit doit, dorénavant, obéir à un prince qui commande de payer le tribut et d’observer les rites.

L’inversion antisociale du sens de la dette sociale constitue une subversion de la relation primitive entre le groupe et son chef (cf. Clastres), qui sanctionne la perturbation hiérarchique de l’ordre social. La perturbation principale est une subversion antisociale du lien social, dont le corollaire international est la subversion des relations intertribales : une tribu hégémonique extorque à d’autres tribus un tribut payé en nature par des vivres ou des soldats à fournir, des esclaves pour travailler ou des prisonniers à sacrifier, etc. La corrélation entre ces deux subversions, et l’intrication probable de la subversion hiérarchique de l’ordre social à l’intérieur de la tribu avec la subversion hégémonique des relations entre tribus, font de la perturbation principale une subversion indissociablement hiérarchique et hégémonique : l’hégémonie d’une tribu sur d’autres implique l’établissement d’une hiérarchie entre tribus, tout comme la hiérarchie à l’intérieur d’une tribu implique l’établissement d’un chef hégémonique (hegemon).

L’établissement de la hiérarchie sacralise le pouvoir de commandement et consacre les différents statuts sociaux en les inscrivant dans l’ordre naturel des choses. Partie intégrante du système de domination, la religion du pouvoir, la religion au service du pouvoir, met en corrélation l’ordre socioculturel et l’ordre cosmique mis en place par les dieux, afin de justifier la domination patriarcale des femmes et l’exploitation économique des classes productives. La différence de genre entre hommes et femmes, tout autant que la distinction antisociale entre hommes libres et esclaves, deviennent des institutions fondamentales de l’inégalité qui structurent des sociétés désormais divisées en leur principe : sujétion forcée et servitude volontaire prennent la relève de la liberté primitive des Sauvages, malencontreusement anéantie.

Tous les rapports sociaux sont radicalement perturbés par le principe d’asservissement et d’assujettissement aux intérêts du prince et des principaux en tout genre, lequel principe s’impose à tous les niveaux de la société : la nature tendanciellement désacralisée est soumise aux désirs du prince consacré ; la religion au service de l’ordre établi domine les esprits assujettis afin de leur faire aimer la sujétion ; la domination polémique des sujets détruit l’association primitive des égaux ; l’exploitation du travail forcé des esclaves prend le pas sur les prestations réciproques du don contre don ; l’institution patriarcale de l’échange de femmes réifiées est le point d’acmé symbolique et réel de la domination masculine et de l’aliénation féminine qui, dans l’espace domestique, voit le maître de maison dominer femmes et enfants au point de disposer d’un droit de vie et de mort ; l’éducation, qui conduit et dirige afin d’émanciper, fait place au dressage des animaux sociaux à l’obéissance ; la contrainte pénale prend en général la relève de l’obligation sociale et morale, etc. Les différents aspects de l’antinomie socioculturelle entre les deux sens de la société font ainsi système :

      1. antinomie intemporelle, à propos du rapport à la nature, entre révérence reconnaissante et arrogance inconsciente ;
      2. antinomie d’essence culturelle, concernant le culte du sacré, entre respect et idolâtrie ;
      3. antinomie préhistorique du genre de société entre matriarcat et patriarcat vs antinomie historique, à propos de l’espèce de société, entre association politique et domination polémique ;
      4. antinomie moderne, portant sur le type d’économie, entre exploitation capitaliste des classes dominées et auto-organisation socialiste de la production par les producteurs…