Clastres

L’œuvre de Pierre Clastres fait époque, à mon sens, dans une double perspective: l’analyse de la politique primitive qui habite, inconsciemment, la vie sociale des sauvages et, corrélativement, la réflexion amorcée sur le sens de la guerre primitive et sur le contresens de la guerre de soumission qui la prend à contre-pied en imposant la paix civile de l’État.

La présentation de l’essai à partir de Clastres intitulé Le mouvement inconscient du politique (2017) sera suivie par une réflexion sur Les sens de la guerre (p.2). En contrepoint, il est proposé l’analyse de deux articles que Clastres a réédités dans La société contre l’État (p.3).


C. Ferrié, Le mouvement inconscient du politique, Lignes, 2017.

L’analyse de la politique primitive des Sauvages à partir de l’œuvre de Pierre Clastres a permis de définir la dynamique inconsciente du mouvement politique. L’hypothèse avancée par cette étude d’ethno-histoire, c’est qu’une dynamique inconsciente préside, de tout temps, au mouvement d’institution du politique. Clastres risque, en ce sens, quelques suggestions qui éclairent son ethnologie à la lumière de la psychanalyse freudienne. Il parle d’un « instinct de mort » qui aurait contaminé toute une tribu du Chaco au point que les femmes refusaient d’engendrer. Cette mention furtive de l’instinct de mort tracerait la voie d’une axiomatique pulsionnelle, qui présiderait aux mouvements de la politique centrifuge tout autant qu’au processus centripète de concentration polémique du pouvoir.

Au-delà de ce cas particulier, il s’agit d’analyser les ressorts inconscients des mouvements politiques et polémiques de sociétés qui refusent l’État. La mention furtive de l’instinct de mort tracerait la voie d’une axiomatique pulsionnelle qui présiderait aux mouvements de la politique centrifuge, tout autant qu’au processus centripète de concentration polémique du pouvoir : le combat de la politique centrifuge contre le processus centripète de concentration polémique du pouvoir verrait s’opposer une pulsion d’égalité, au cœur de la vie politique, à la pulsion de mort politique, à la source de l’État. Éclairant l’ethnologie clastrienne à la lumière de la psychanalyse freudienne tout en discutant la réception de l’œuvre de Clastres par Deleuze et Guattari, l’essai tire une conclusion qui conteste l’axiomatique pulsionnelle de Freud : la pulsion érotique d’union des tribus serait, en vérité, mortifère pour la vie politique, animée quant à elle, à l’inverse, par le retournement de la pulsion de mort contre sa tendance destructrice !

En amont du livre publié en 2017, deux articles ont été consacrés à cette question : le premier résume l’interprétation pulsionnelle de l’anthropologie politique de Clastres ; à partir des analyses de Pierre et Hélène Clastres, le second valide l’essai de Montaigne sur les Cannibales et propose une interprétation pulsionnelle de l’exo-cannibalisme guerrier des Tupi-Guarani.

  • C. Ferrié, « La dynamique inconsciente du mouvement politique » (16 p.), in : M. Abensour et A. Kupiec, Pierre Clastres, Sens&Tonka, 2011, p. 323-339.
  • C. Ferrié, « Les Cannibales de Montaigne à la lumière ethnologique de Clastres », Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude (ISSN 1775-4054) », n° 8, 2013 (Colloque sur Montaigne à l’Université de Rouen, novembre 2012)