societas

perturbation à l’origine de la société humaine

Le principe de perturbation, qui règne sans commune mesure au sein de tous les phénomènes naturels, règle ou dérègle, c’est selon, l’ensemble de la vie culturelle des groupes humains. Les sociétés humaines ne sont pas seulement structurellement soumises à de multiples perturbations, elles sont à l’origine instituées par une perturbation verticale, dont les ondes de choc ne cessent de se propager. La perturbation à l’origine de l’humanisation de groupes de primates quadrumanes est sanctionnée par la surrection d’hominidés devenus bipèdes, dont la station verticale favorise et conditionne le développement du système nerveux et de l’appareil cérébral.

Mais ce n’est pas tout. Se référant à l’hypothèse darwinienne sur l’état premier ou originaire de la société humaine, Freud juge qu’il manque un trait essentiel de la culture à cette « famille primitive » que tyrannise violemment un mâle dominant qui exerce un monopole exclusif sur toutes les femelles, y compris sur sa progéniture : il n’y aurait aucune place pour le totémisme, diagnostique Freud, ni pour le tabou de l’inceste. Le meurtre du père de la horde primitive par les frères unis érotiquement serait la perturbation originaire de la culture humaine en général sous la forme première du culte du totem. Tout en récusant l’hypothèse freudienne du meurtre originaire du père de la horde primitive, Lévi-Strauss montre que le passage de la nature à la culture s’opère par l’institution proprement humaine de la prohibition de l’inceste : c’est cette loi fondamentale qui règle les structures élémentaires de la parenté à travers l’institution de l’exogamie. Or cette institution de la culture, qui met fin au règne naturel de l’accouplement sans règle des singes anthropoïdes, est indissociable d’une irruption soudaine du sens, qui règle symboliquement les échanges réglés entre les hommes. Le sens fondamental d’une institution humaine, c’est de donner sens à des pratiques culturelles qui confèrent elles-mêmes une signification symbolique à des phénomènes naturels comme la mort, la naissance, l’accouplement ou l’alimentation. Cela est vrai de tous les formes de culture, que la société soit primitive et indivisée, ou qu’elle soit divisée et hiérarchisée.

Toute une série de perturbations interconnectées entre elles auraient ainsi amené des groupes de primates hominisés sur la voie de l’institution d’une culture proprement humaine : ce complexe d’événements révolutionnaires pour le genre humain, qui transmue les instincts naturels en pulsions, peut être appelé, par commodité, la perturbation originaire de l’humanité, dont les valeurs symboliques sont transmises et interprétées par le moyen de la parole.