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antinomie du rapport socio-culturel à la nature

En raison de la colonisation progressive de la planète Terre par le genre humain, le globe terrestre est désormais occupé par des populations humaines, qui se distinguent par leurs cultures respectives et leur type d’association. Tous les domaines de la vie humaine, depuis l’élément le plus naturellement physiologique, et tous les plans de l’existence, jusqu’au niveau le plus culturellement spirituel, sont couverts et investis par l’élaboration collective de significations, qui préparent et désamorcent par avance l’expérience de l’altérité et de l’adversité, en contenant l’effet de surprise provoqué par les inévitables perturbations chaotiques des habitudes. La conformation culturelle des activités se produisant à tous les niveaux de la vie sociale, la culture configure donc tous les rapports constitutifs du groupe.

À tort pensée comme identité, alors qu’elle est toujours différentielle, la singularité culturelle du groupe se définit par le rapport à l’altérité qu’il invente et développe selon les multiples dimensions interconnectées de l’altérité : la nature, les autres animaux, les autres cultures, les autres individus du même groupe et l’autre sexe en général. Ces différentes déterminations sont des moments analytiques de l’être-humain dans un monde institué au sein de la nature, moments qui se déterminent mutuellement. Comme tous les autres animaux, les êtres humains vivent dans la nature et ils en vivent : le rapport à la nature est, donc, élémentaire et incontournable.

Selon cette première détermination, la nature délimite effectivement l’économie du groupe social en même temps qu’elle configure le rapport (craintif et respectueux, reconnaissant, etc.) de l’être humain à la nature en fonction de son caractère hostile et effrayant ou, au contraire, prolifique et accueillant pour l’être humain (déserts arides ou vallées fluviales fertiles, etc.). L’économie d’un groupe social ne détermine pas seulement le type du rapport économique à la nature en fonction du développement de la culture technique, elle détermine aussi la personnalité, singulière ou non, de l’être humain en structurant son intégration sociale. En corrélation avec le rapport du groupe social à la nature comme milieu de vie conditionnant l’activité économique, l’être humain développe un rapport culturel à l’être comme nature et à sa propre naturalité (comme corps, sexué). La détermination du rapport de l’être humain à la nature affecte ainsi la détermination du rapport de l’être humain à son être et à l’être des autres, qu’il fantasme son propre être et l’être d’autrui comme naturel, ou qu’il le reconnaisse au contraire comme culturel. Le rapport à l’altérité humaine est déterminé selon une triple dimension : rapport socialisé à l’autre sexe ; rapport au groupe propre et aux individus de ce groupe selon le type de formation sociale (tribu, clans, castes, classes, etc.) ; rapport aux autres groupes (échange entre amis ou guerre aux ennemis).

Constitués d’hommes et de femmes, les groupes humains mettent ainsi en place des institutions qui régulent les relations conflictuelles entre sexes, entre groupes sociaux et entre individus en définissant des normes de comportements pour toutes les activités humaines. Mais la conflictualité constitutive des rapports sociaux peut donner lieu à une agonistique mesurée ou une polémique démesurée. Cette antinomie à propos de la culture sociale du conflit couvre l’ensemble des rapports de l’identité socioculturelle à l’altérité en tout genre : nature, autres cultures, autres groupes de même culture, autres individus du groupe propre ou d’autres groupes, etc.

antinomie du rapport à la nature :
prélever ou exploiter ?

La fonction générale de la culture comme art de vivre au sein de la nature définit un genre commun, divisé en deux espèces d’économies qui cultivent un rapport à la nature diamétralement opposé.
C’est le premier aspect, élémentaire, de l’antinomie socioculturelle qui porte sur les sens de la culture :

cultiver une manière de vivre au sein de la nature, c’est habiter un lieu de vie et prélever sur le milieu naturel sans attenter à son intégrité, avec le respect religieux envers une Terre-mère nourricière, dont la fertilité est vénérée tout autant qu’est redoutée son adversité !
                                                 ou bien
coloniser l’ensemble de la planète pour lui imposer brutalement la civilisation et, donc, exploiter la nature sans se soucier du renouvellement des ressources naturelles, avec un mépris irrévérencieux d’une nature désacralisée qu’il s’agit de dominer…

La première option, qui a été cultivée pendant des millénaires par les sociétés premières ou primitives, ne dénie pas le conflit avec des forces naturelles, dont la puissance, destructrice des vies et des constructions humaines, est perçue comme maléfique. Mais la lutte contre l’adversité naturelle prend la forme d’une agonistique pacifiée, qui vise à détourner ou apprivoiser les forces hostiles par le moyen de multiples rites à accomplir, à tout moment de l’existence : ce rapport respectueux plein de gratitude envers une nature sacralisée, qui n’implique aucune religion à proprement parler, montre la pulsion de vie à l’œuvre pour contenir la pulsion de mort.

La dernière option, à l’inverse mue par une pulsion de mort déchaînée, n’est néanmoins devenue fatale pour le genre humain et son milieu de vie qu’à l’époque moderne, en corrélation avec le développement exponentiel des capacités techniques de destruction, lequel processus s’inscrit dans une logique et un programme d’exploitation et de domination de toutes les forces naturelles et humaines : cet objectif global du processus polémique en cours, qui vise à exploiter toutes les ressources naturelles et à dominer toutes les cultures humaines, en définit le destin globalitaire. Même si le déploiement des différents aspects du rapport polémique à l’altérité s’opère selon des temporalités différentes, il y aurait une corrélation originaire entre exploitation et domination à tous les niveaux du rapport à l’altérité : la nature, les autres hommes, l’autre sexe, etc. Reste que l’urgence actuelle est d’analyser la crise écologique en l’inscrivant dans l’économie générale qui la détermine.