cours de philosophie générale

Le sujet humain est-il soumis à ses propres pensées ?

[Méthode d’analyse dans le cas d’un sujet paradoxal]

Comme les temps modernes nous ont habitués à penser que le sujet humain est maître de ses propres pensées, lesquelles décideraient de ses propres actions, cette thèse paraît évidente (doxa), de sorte que la thèse inverse apparaît para-doxale : le sujet humain est soumis à ses propres pensées [Ā].
Il est toujours plus facile de commencer à expliquer la thèse mise en question que le contraire, mais dans le cas d’une thèse paradoxale, il est souvent possible d’inverser et de commencer par A plutôt que par Ā… Soit les deux possibilités :

Analyse de A en premier

[accroche à trouver…] L’être humain est un être vivant qui est soumis aux lois du déterminisme naturel et, à ce titre, il fait l’objet de processus physiques ou physiologiques qu’il subit. Ces processus en corrélation avec le monde extérieur sont à l’origine des pensées qui se produisent dans son esprit et, de ce fait, elles lui paraissent être ses propres pensées en raison même du lieu où elles se produisent : son esprit, et ce alors même qu’elles sont la plupart du temps reçues de l’extérieur : ces idées reçues se reproduisent ainsi dans l’esprit du sujet humain qui les reçoit. En ce sens, on peut d’autant plus dire que le sujet est soumis à ses propres pensées que le terme sujet, qui se dit Sub-jekt en allemand, signifie littéralement la même chose que le terme soumis : ce qui est jeté dessous et supporte le reste est soumis à ce qu’il supporte ou subit, à savoir les pensées qui lui traversent l’esprit sans qu’il ne parvienne à en maîtriser le flux au point même qu’il ne parvient pas toujours à s’en défaire, par exemple lorsque le sujet a des idées fixes ou obsessionnelles. Mais cette thèse paradoxale ne revient-elle pas à faire abstraction de manière unilatérale de la capacité du sujet à se rendre maître des pensées qui se produisent en lui, alors même qu’il dispose tout naturellement d’un esprit critique qui lui permet de mettre en question et de rejeter les pensées qu’il désapprouve ? Ne faudrait-il pas plutôt penser que le sujet humain est parfaitement capable de soumettre ses propres pensées aux décisions conscientes de son jugement éclairé et de sa volonté libre ?

Analyse de Ā en premier

[accroche à trouver…] L’être humain est un être vivant qui est soumis aux lois du déterminisme naturel et, à ce titre, il fait l’objet de processus physiques ou physiologiques qu’il subit. Mais il est également sujet des initiatives qu’il prend : le sujet humain est en effet un centre d’initiatives individuelles à l’origine de ses pensées, de ses paroles et de ses actions. Avant même d’agir, il pense en effet ses motifs et son intérêt à passer à l’acte : il évalue ou soupèse la valeur de ses propres pensées. Penser, c’est peser le pour ou le contre dans un dialogue intérieur avec soi-même qui n’est pas soumis à la contrainte de pressions extérieures : même si les autres font pression sur moi, je peux continuer à penser ce que je veux en mon for intérieur. En raison de la capacité de penser dont il dispose tout naturellement, le sujet humain est ainsi maître de ses propres pensées [=Ā & argument qui rend Ā crédible =]. C’est le sujet lui-même qui décide volontairement et consciemment de ce qu’il pense, grâce à son libre-arbitre, comme s’il était un maître dans l’empire intérieur qu’il domine : il soumet ses pensées à sa propre logique. Par conséquent, ses pensées sont bien les siennes, ses propres pensées, dans la mesure où elles sont soumises à la décision consciente du sujet, sinon de les produire, du moins de les accepter comme siennes en se les appropriant. Mais n’y a-t-il pas là une illusion narcissique du sujet qui se croit à tort maître de ses propres pensées, [=objection à Ā & argument de l’objection qui la rend crédible =] alors qu’il ignore les raisons qui le poussent à penser ce qu’il pense ?

Autre formulation possible de la même objection

Mais n’y a-t-il pas là une illusion de la conscience que le sujet a de lui-même sans percevoir les chaînes de production des pensées qui les lui imposent dans son for intérieur ?

Ne faudrait-il pas au contraire penser que le sujet humain est soumis à ses propres pensées [= A avec son argument =] qui s’imposent à lui sans même qu’il ne s’en rende compte ? Il faudrait ainsi se demander si le sujet, conformément à la signification littérale du terme, ne serait pas plutôt sou-mis à ses propres pensées, comme le sont les sujets du roi sur le plan politique ou comme un patient est sujet à une infection [définition du terme du libellé du sujet qui n’avait pas pu l’être à propos de A en raison du fait d’avoir commencé par l’analyse de Ā]. C’est la confusion entre le sujet et la conscience qu’il a de soi qui serait ainsi la source de l’illusion que le sujet a d’être – selon l’expression de Freud dans Le ça et le moi (1923)– « maître dans sa propre maison », alors qu’il subit en vérité des pensées qui s’imposent à lui [=argument d’autorité fondé sur des références allusives pour rendre crédible Ā] : ce qui est vrai non seulement des idées fixes ou obsessionnelles, mais également des préjugés qui nous sont inculquées dès l’enfance, tout comme des représentations doctrinales que l’idéologie dominante impose à notre conscience en nous endoctrinant [allusions transparentes à Descartes puis à Marx]. Le sujet humain subirait ainsi l’essentiel de ce qui lui arrive et il serait donc soumis en premier lieu aux pensées que son époque et son milieu imposent à son esprit : le déterminisme historique en général et les déterminismes socio-culturels en particulier rendent raison des pensées qui s’imposent au sujet en son for intérieur. Ce serait paradoxal, car ce qui paraît propre au sujet, à cause du lieu où cela se produit : dans son propre esprit, proviendrait uniquement d’une appropriation de pensées à l’origine étrangères. En somme, il s’agirait de savoir si le sujet humain soumet ses propres pensées aux décisions conscientes de son libre-arbitre ou bien s’il est au contraire paradoxalement soumis à des pensées qu’il ne maîtrise pas du tout.

I

Grâce à son libre-arbitre, le sujet maître de soi soumet sciemment et volontairement ses propres pensées à son propre jugement en s’appropriant les idées reçues ou en les invalidant. Le sujet est ainsi maître de ses pensées, qu’il les produise ou qu’il les re-produise en reprenant consciemment les pensées des autres.

Par sa faculté à penser par soi-même, le sujet est parfaitement capable de produire des pensées qui, à l’origine, peuvent être celles des autres et qui le sont d’ailleurs la plupart du temps. Mais le sujet s’approprie de telles pensées en les comprenant, de telle sorte qu’elles deviennent siennes : ce sont ses propres pensées en tant que déterminations de l’esprit du sujet pensant. Comme Hegel l’explique dans son programme d’enseignement, cela est vrai tout autant de la compréhension du théorème de Pythagore que de l’apprentissage de la définition aristotélicienne des catégories de substance et de cause. Grâce à son entendement qui lui permet d’entendre au sens de comprendre, le sujet est donc bien maître de ses propres pensées. Mais en quoi consiste l’entendement comme lumière naturelle de son esprit ?

Le sujet humain dispose naturellement d’un esprit qui lui permet de comprendre en s’interrogeant sur la validité des pensées dont il prend conscience. Le sujet a par suite la capacité de mettre les idées reçues en question grâce à la volonté infinie dont il est naturellement pourvu. Ce dont Descartes donne l’exemple dans les Méditations métaphysiques en décidant volontairement de considérer comme fausses les idées simplement douteuses. Cette démarche cartésienne du doute hyperbolique prouve en général la capacité du sujet humain à vérifier la vérité des idées reçues. Ayant éprouvé la vérité indubitable de l’intuition instantanée du cogito ergo sum, Descartes montre ensuite que le sujet qui pense présuppose une substance pensante comme condition de possibilité de la permanence de sa pensée dans le temps et, donc, de la capacité constante de l’esprit à produire des pensées : c’est ainsi cette sub-stance qui supporte et produit les pensées que l’esprit est capable d’approuver en éprouvant leur vérité à partir du critère de la clarté et distinction des idées. C’est donc bien le sujet qui est à l’origine des pensées produites dans et par son propre esprit. Descartes propose de facto une fondation ontologique de la capacité du libre-arbitre du sujet à choisir ses propres pensées. Reste que cette capacité réclame du courage pour être mise en œuvre, c’est-à-dire une force d’âme ou un caractère que chacun ne s’est pas résolument forgé.

Si le sujet a la capacité de penser par lui-même et donc de soumettre ses propres pensées et celles des autres à son propre jugement, il n’en demeure pas moins qu’il lui faut cultiver cette faculté de juger en l’exerçant courageusement. C’est ce à quoi Kant exhorte en 1784 au tout début de son opuscule sur les Lumières. Le sujet humain doit être résolu à se servir de son propre entendement sans se soumettre au jugement de quelqu’un d’autre, qu’il s’agisse d’un médecin préoccupé de la santé de son corps ou d’un pasteur en charge du salut des âmes. Il lui faut résolument se libérer de ces tuteurs qui l’asservissent et cesser de reprendre sans réfléchir, bêtement ou mécaniquement, des formules toutes faites et des préceptes réglementaires qui sont des instruments mécaniques d’un mauvais usage des dons naturels du sujet : Kant appelle de ses vœux une telle « réforme de la manière de penser » qui permet au sujet de cesser de se fier à la réputation des gens qui font autorité pour juger par soi-même en toute liberté. Même si le sujet humain est très loin d’être toujours maître de ses propres pensées, faute d’en avoir le courage, c’est dire qu’il en a du moins la capacité naturelle en raison du libre arbitre, qui caractérise son esprit, et de l’esprit critique qui structure sa faculté de juger.

En tant que conscience de soi, le sujet est bel et bien capable de contrôler ou de maîtriser ses propres pensées. Mais, en s’identifiant à la conscience de soi, le sujet ne serait-il pas victime d’une illusion qui l’amène à se croire maître de ses propres pensées sans avoir conscience des déterminations qui l’affectent, c’est-à-dire des causes qui produisent ses pensées ? Ne faudrait-il pas dans ces conditions reconnaître que le sujet humain est au contraire soumis à ses propres pensées qu’il subit ?

II

Le sujet humain est soumis à ses propres pensées. Le sujet est ainsi paradoxalement soumis à des pensées qu’il ne maîtrise pas du tout et qui s’imposent à lui, de l’extérieur et/ou en son for intérieur. En corrélation avec le monde extérieur, les pensées lui traversent l’esprit sans qu’il ne parvienne à en maîtriser le flux au point même de ne pas parvenir à s’en défaire.

Le sujet humain est soumis aux pensées que lui impose la société dans laquelle il vit. C’est vrai dès la pensée primitive qui s’exprime dans les mythes. [argument qui serait à développer soit à partir d’une référence ethnologique, soit par exemple à partir de la conscience collective dont parle Durkheim]

La plupart du temps venues de l’extérieur, les idées reçues sont des pensées qui se reproduisent dans l’esprit du sujet humain qui les reçoit. Il subit ainsi en premier lieu les pensées que lui impose l’époque, de sorte que le sujet n’est pas maître de ses propres pensées, puisqu’il est poussé à penser ce qu’il pense. [=énoncé de l’argument avant la référence qui doit être précise et citer l’ouvrage dont le titre est à souligner=] À suivre l’Ethique de Spinoza, il y a un déterminisme des pensées, c’est-à-dire un enchaînement logique des idées qui se produit parallèlement au déterminisme naturel des phénomènes matériels : ce qui correspond à la production d’états d’âme et donc de pensées qui correspondent très exactement aux états du corps, conformément à la thèse spinoziste d’après laquelle l’esprit est l’idée du corps (mens idea corporis). Loin que le sujet puisse penser ce qu’il veut, comme s’il était « un empire dans un empire », il ne peut penser que les idées tronquées qui s’imposent à son esprit avant de pouvoir concevoir les idées vraies grâce à la raison. Le sujet a donc l’illusion de contrôler ses propres pensées parce qu’il se fie à la conscience qu’il en a sans pouvoir à ce moment reconstituer les chaînes de causalité productrice de ces états de conscience. [=reformulation conclusive de l’argument, avant une transition = encore à rédiger]

« Ceux qui ont écrit sur les Affections et la conduite de la vie humaine semblent, pour la plupart, traiter non de choses naturelles qui suivent les lois communes de la Nature mais de choses qui sont hors de la Nature. En vérité, on dirait qu’ils conçoivent l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire. Ils croient, en effet, que l’homme trouble l’ordre de la Nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses propres actions un pouvoir absolu et ne tire que de lui-même sa détermination. Ils cherchent donc la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaines, non dans la puissance commune de la Nature, mais dans je ne sais quel vice de la nature humaine et, pour cette raison, pleurent à son sujet, la raillent, la méprisent ou le plus souvent la détestent : qui sait le plus éloquemment ou le plus subtilement censurer l’impuissance de l’Âme humaine est tenu pour divin. Certes n’ont pas manqué les hommes éminents (au labeur et à l’industrie desquels nous avouons devoir beaucoup) pour écrire sur la conduite droite de la vie beaucoup de belles choses, et donner aux mortels des conseils pleins de prudence ; mais, quant à déterminer la nature et les forces des Affections, et ce que peut l’Âme de son côté pour les gouverner, nul, que je sache, ne l’a fait. A la vérité, le très célèbre Descartes, bien qu’il ait admis le pouvoir absolu de l’Âme sur ses actions, a tenté, je le sais, d’expliquer les Affections humaines par leurs premières causes et de montrer en même temps par quelle voie l’âme peut prendre sur les Affections un empire absolu ; mais, à mon avis, il n’a rien montré que la pénétration de son grand esprit comme je l’établirai en son lieu. » [Spinoza, Ethique, préface au livre III].

Non seulement les pensées s’imposent au sujet, mais également l’idée même que le sujet a de lui-même est elle aussi déterminée. Contre l’illusion logico-grammaticale du sujet, Nietzsche avance contre Descartes que ça pense en moi. [argument à développer]

Chaque sujet est de surcroît soumis aux pensées qui s’imposent au sein de l’expérience intérieure, et ce en contradiction avec l’auto-illusionnement de la conscience même du sujet qui s’identifie en toute confusion au sujet lui-même pour refouler tout que le sujet subit en vérité et qui se passe en lui. Selon cet argument, le déterminisme psychique que Freud défend au début des Cinq leçons sur la psychanalyse fait que le sujet est un patient en souffrance en raison du manque qu’il ressent : ce dont les idées fixes et les pensées étranges (unheimlich) sont le signe inquiétant au même titre que les lapsus.

Loin de pouvoir soumettre ses pensées à son libre-arbitre, le sujet est bel et bien forcé de penser les idées qui lui viennent à l’esprit [reformulation conclusive de la thèse soutenue dans la partie, laquelle doit s’efforcer de varier les termes employés et orienter la reformulation de sorte à préparer l’objection vers III = ] Mais…