Clastres

les sens de la guerre

L’interprétation de la politique primitive et de ses destins pulsionnels contradictoires se double d’une hypothèse sur les sens de la guerre. Parler de l’essence de la guerre en général est un non-sens : la guerre de conquête n’est pas de même essence que la guerre primitive. Sous son apparence d’activité purement polémique, la guerre primitive est une forme de politique, il est vrai paradoxale, et ce au même titre que cet autre acte de guerre qu’est le meurtre du chef à tendance despotique. C’est une forme de politique, puisque la guerre primitive répond, au niveau de la conscience, à un objectif ouvertement polémique tout en assumant, inconsciemment, une fonction politique. C’est la différence essentielle avec la guerre de conquête : la guerre d’intégration et, plus encore, la guerre d’anéantissement obéissent, au niveau tant des pulsions inconscientes que des intentions conscientes, à une logique purement polémique. Il est, par suite, crucial de bien discerner conceptuellement les sens radicalement divergents des pratiques guerrières. Ce n’est pas en soi la guerre de conquête, mais la guerre de soumission et/ou d’intégration par le moyen de la conquête, pratiquée par exemple par les Incas, qui révolutionne le sens même de la guerre primitive et ouvre l’horizon de l’établissement d’un Empire ou d’un État.

Si l’essai sur Clastres propose de concevoir la vie sociale des sauvages et même la guerre primitive comme animées par une pulsion de vie politique, il donne tout autant à penser le processus à l’origine de l’inversion du sens de la guerre comme résultant d’une victoire durable de la pulsion de mort polémique dans le combat de géants entre éros et thanatos.

En aval du livre publié en 2017, la contribution au colloque consacré à Clastres, qui s’est tenu à l’Imec et à l’Université de Caen en octobre 2017, a paru dans un collectif dans lequel est rendu hommage à Miguel Abensour :

  • C. Ferrié, « L’emballement de la machine de guerre : une réponse clastrienne à Deleuze et Guattari » & « Hommage à Miguel Abensour », in: P.-A. Delorme et C. Poutot (dir.), Clastres. Une politique de l’anthropologie, Éditions Le bord de l’eau, Lormont, 2020, p. 71-91 vs p. 63.