pólemos

le sens centrifuge du politique

Pour rendre justice à l’analyse clastrienne de la guerre dans les sociétés primitives, il faut instamment et constamment qualifier cette guerre de primitive : plus encore que pour les sens de la communauté, les sens de la guerre pratiquée par les communautés sauvages et par les sociétés hiérarchisées ne se rassemblent dans une essence commune. Ce discernement des sens hétérogènes est la condition impérative pour comprendre le sens et l’essence de la politique primitive et pour ne pas sombrer dans la conception polémique du politique qui abîme la pensée « politique » moderne.

C’est également la condition pour tracer une voie moderne de politique centrifuge qui parvient à s’inspirer de la politique sauvage, sans dénier pour autant la scission radicale entre les sociétés à État et les sociétés contre l’État. Il faut entendre ce que Clastres nous enseigne à travers sa lecture de La Boétie : le passage accidentel et fatal des sociétés contre l’État aux sociétés dominées par l’État, « à sens unique », constitue une révolution irréversible. Clastres qualifie cette coupure décisive de « révolution politique ». Préférant un usage normatif du terme politique qui me semble en accord avec l’esprit même de la politique primitive, j’interprète, pour ma part, cette rupture époquale comme constituant et signifiant une véritable « polémisation » du politique.

À mon sens, la destruction ethnocidaire des sociétés sauvages à l’époque moderne accomplit ce processus destructeur de la politique. La destruction de la politique primitive constitue une destruction du politique qui, en retour, appelle les forces politiques à s’engager dans le sens centrifuge d’une nouvelle création socio-historique de l’espace politique. Après le malencontre, il ne peut donc s’agir d’en revenir à la politique primitive et à la société sauvage. De ce point de vue, le Discours de Rousseau fait écho au Discours de La Boétie : contrairement à une légende tenace, il ne s’agit aucunement pour Rousseau de faire retour à l’état de nature à la suite du passage accidentel ou hasardeux à l’état de la société civile ; le Contrat social, qui conçoit d’ailleurs la famille non comme une communauté mais comme une société libre, montre clairement qu’il ne s’agit pas non plus d’en revenir à la vie sauvage.

Dans cette même perspective, on peut interpréter toutes les révolutions comme des mouvements politiques qui tentent, non d’en revenir à la politique primitive (ce serait un non-sens), mais de faire resurgir la logique politique au sein d’une société irrémédiablement hiérarchisée dans laquelle règne un système de domination structurellement despotique. C’est bien évidemment le cas de la Révolution française, mais c’est déjà le cas lors des différentes insurrections qui président à la démocratisation d’Athènes. Ce sont des essais presque désespérés, et fatalement voués à un certain échec, de créer un espace politique dans les conditions d’une soumission polémique de la société civique ou citoyenne. Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs schmittiens, la révolution n’est pas une guerre civile.