Altérité animale

Séquence principale

expérience éthologique de l’altérité animale

La chair de l’animal…

1. originalité de la vie animale dans l’univers corporel
(approche épistémologique)

2.0 de la structure téléonomique du corps vivant de l’animal
2.1 le modèle mécaniste
2.2 vitalisme
2.3 évolutionnisme

2. milieux de vie animale (approche éthologique)

2.0 le vivant dans son milieu : Canguilhem, “Le vivant et son milieu”

L’anthropomorphisme en question

Cela paraît être une véritable quadrature du cercle. Certains éthologues, Adolf Portmann (1953) et Konrad Lorenz (1963) par exemple, ont clairement repéré le problème déjà pointé par Jakob von Uexküll (1934) : décrire la vie de la tique en disant qu’elle guette sa proie (en supportant de l’attendre jusqu’à 18 ans en dormant) revient à introduire involontairement une expression des petits soucis du quotidien humain dans une vie animale qui en est dépourvue[1].

Le problème semble être d’autant plus insoluble que l’amphibolie des notions employées est à double sens. C’est que des concepts relevant de la description éthologique, comme prédateur ou rapace, sont appliqués sans vergogne à des agissements humains pour les stigmatiser en les bestialisant. Or la connotation négative des termes employés pour disqualifier ladite bestialité d’un comportement humain jugé indigne d’un être humain a pour effet, en retour, de provoquer une dévalorisation anthropocentrique du comportement animal, complètement dénaturé par l’intrusion d’une axiologie qui en fausse la perception et en ignore la signification, au lieu de reconnaître, par exemple, la valeur sanitaire de l’opération de régulation assurée par les prédateurs et les charognards : le jugement de valeur ne peut que préjuger de la bestialité des bêtes et de la bêtise du bétail dans une espèce réversible de bêtisier où l’ânerie des ânes bâtés et les cochonneries des cochons se retournent sur l’animal narcissique à l’origine de toutes ces caricatures présomptueuses de l’animalité[2].

Ce redoublement de l’anthropomorphisme invite à soumettre tous les concepts ambivalents à l’épreuve critique de leur signification éthologique en neutralisant l’intervention biaisée d’une éthique ou même d’une esthétique[3], forgées l’une comme l’autre par l’être humain pour son bien anthropocentré. Suivre cette voie tracée par les éthologues serait la seule manière qui permette de s’engager dans une expérience effective de l’altérité animale, dont il va falloir préciser les termes.

[1] Jakob von Uexküll, Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen (1934), Rowohlt, Hamburg, 1956, S.60, cf. S.30 (Fähigkeit, eine nie wechselnde Zeit Umwelt während einer Wartezeit von 18 Jahren zu ertragen). Je souligne entre parenthèses d’autres expressions anthropomorphiques que l’éthologue a introduites, involontairement, dans la vie de la tique, qui est dominée par un « plan de la nature » : c’est l’opposition entre objectif humain et plan de la nature qui permet à Uexküll de tenir à distance et donc de maîtriser conceptuellement l’anthropomorphisme involontaire, parce que peut-être inévitable, des expressions utilisées dans ses Incursions dans les mondes ambiants des animaux et des humains.
[2] Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, 1968, p. 196-198 : « La bêtise n’est pas l’animalité. L’animal est garanti par des formes spécifiques qui l’empêchent d’être “bête”. On a souvent établi des correspondances entre le visage humain et les têtes animales, c’est-à-dire entre des différences individuelles et des différences spécifiques de l’animal. Mais ainsi on ne rend pas compte de la bêtise comme bestialité proprement humaine », dont le tyran est la forme institutionnalisée comme incarnation de « cette unité de bêtise et de cruauté » (p. 196).
[3] Selon Portmann, il est nécessaire de « se libérer de nos concepts traditionnels de la beauté » (sich freimachen von unseren traditionnellen Schönheitsbegriffen) pour pouvoir admirer l’accentuation, chez les mouflons, des pôles opposés de la tête et des testicules, dans une composition d’ensemble harmonieuse quasiment artistique, ou encore pour apprécier à sa juste valeur la beauté phénoménale du caractère ornemental, par exemple, de la mise en avant du pôle anal, coloré et sans poil, des singes sans, donc, en préjuger de manière anthropomorphique : Adolf Portmann, Die Tiergestalt (1948), Herder, 1965, S.191-192, cf. fig. 100 trad. fr. p.227.

trois éthologues en discussion & introduction de Portmann (1956) à la lecture d’Uexküll

2.1 le monde de vie de l’animal (monde intérieur & milieu ambiant) : Jakob von Uexküll (1864-1944), Monde intérieur et monde ambiant des animaux (1909) & Incursions dans les milieux ambiants des animaux et des humains (1934)

2.1.1 Umwelt und Innenwelt der Tiere (1909 vs 1921) = Monde ambiant et monde intérieur des animaux (1909)

1. corrélation entre Umwelt et Innenwelt (introduction de l’ouvrage)
2. le protoplasme au cœur de la vie subjective du vivant
3. activité du protoplasme au sein de l’amibe
4. animaux pauvres ou riches en réflexes et réduction consécutive de l’activité du protoplasme
5. animal comme alliage de réflexes et unité fonctionnelle
6. le monde en miroir (Spiegelwelt) face (Gegenwelt) au monde ambiant : dans le cerveau, une intériorité physiologique sans vie psychique
7. le monde ambiant de l’observateur comme environnement (Umgebung) du monde ambiant (Umwelt) de l’animal observé
résumé du cours

In den schönen Zeiten, da Anatomie und Physiologie noch ungetrennt eine einheitliche Biologie bildeten, faßte man jedes Tier als eine funktionelle Einheit auf. Die anatomische Struktur und ihre physiologischen Leistungen wurden gleichzeitig erforscht und als zusammengehörig betrachtet.
Es fällt niemand ein, eine Arbeitsteilung in die Technologie einzuführen, und zwei Klassen von Ingenieuren auszubilden, die einen für das Studium der Struktur, die anderen für das Studium des Energieumsatzes in den Maschinen.” (S.3)

Pour Uexküll, la biologie doit rendre compte de l’unité fonctionnelle de l’animal (S.3) qui repose sur le “plan de construction de tout être vivant” (4) en relation avec ses besoins. C’est ce plan de construction qui crée spontanément (selbsttätig) le monde ambiant de l’animal: ce qu’Uexküll appelle la subjectivité de l’animal renvoie précisément à cette activité (Tätigkeit) qui vient du sujet vivant lui-même (selbst), c’est-à-dire provient spontanément du sujet actif de lui-même ou par lui-même. C’est ce que marque le pronominal réfléchi (dont Heidegger raffolera en 1929-1930):

die Lebewesen ordnen und beherrschen das Chaos der anorganischen Welt. Jedes Tier an einer anderen Stelle und in anderer Weise. Aus der unübersehbaren Mannigfaltigkeit der anorganischen Welt sucht sich jedes Tier gerade das aus, was zu ihm paßt, d. h. es schafft sich seine Bedürfnisse selbst entsprechend seiner eigenen Bauart.” (S.5)

jede dieser tausendfach verschiedenen Lebensformen eine ihm eigentümliche Umwelt besitzt, die sich mit dem Bauplan des Tieres wechselseitig bedingt.” (S.5)

In den schönen Zeiten, da Anatomie und Physiologie noch ungetrennt eine einheitliche Biologie bildeten, faßte man jedes Tier als eine funktionelle Einheit auf. Die anatomische Struktur und ihre physiologischen Leistungen wurden gleichzeitig erforscht und als zusammengehörig betrachtet.
Es fällt niemand ein, eine Arbeitsteilung in die Technologie einzuführen, und zwei Klassen von Ingenieuren auszubilden, die einen für das Studium der Struktur, die anderen für das Studium des Energieumsatzes in den Maschinen.

Recherchant ce qui lui convient dans le milieu extérieur, l’animal se crée ou se donne lui-même ses besoins en fonction de son propre plan de construction, qui se trouve dans une relation de détermination réciproque avec un “monde ambiant qui lui est propre [eigentümlich]” (5). La conséquence est qu’un “nouveau monde se forme autour de chaque animal [ründet sich um jedes Tier]” (6).

l’activité originaire du protoplasme

chapitre initial
“Du protoplasme”

Dans le premier chapitre, qui expose et traite le problème du protoplasme, Uexküll explique qu’il y a une “activité supra-mécanique des animaux” dans la mesure où l’organisme vivant qui se forme, se régule et se régénère dispose d’une telle capacité (Fähigkeit) supra-mécanique (25-26):

Das Protoplasma besitzt die Fähigkeit, die toten Stoffe aufzunehmen und sich selbst einzufügen. Das ist die eine Seite seiner Tätigkeit. Andererseits besitzt das Protoplasma die Fähigkeit, planmäßige Strukturen aus sich heraus zu bilden. Unter planmäßig soll nichts anderes verstanden werden, als daß die einzelnen Strukturteile zusammen nicht bloß ein räumliches Ganzes bilden wie die Wasserkristalle in einer Schneeflocke, sondern ein funktionelles Ganzes wie die Bausteine eines Hauses.” (30)

L’activité du protoplasme se traduit par deux capacités: celle d’ingérer de la matière morte pour se l’insérer (sich einfügen); celle de former, à partir de soi, des structures conformées à un plan à l’origine du Tout structurel qui assemble les différents éléments.

Die biologische Aufgabe des Protoplasmas besteht darin, die durch das Auftreten fester Strukturen zur Unveränderlichkeit neigende Reflexfunktion geschmeidig zu erhalten, so daß sie sich dem wechselnden Einfluß der Umgebung gewachsen zeigt. […] es handelt sich beim Phototropismus von Loeb nicht bloß um unaufgelöste Reflexe, sondern eine direkte Wirkung des Lichtes auf das Protoplasma angenommen werden muß. Diese Wirkung ist aber keine
mechanische, da das Protoplasma die Fähigkeit besitzt, alle vitalen Reize planmäßig zu verwerten. (73-74)

C’est pourquoi la conformité au plan est la propriété fondamentale du protoplasme (74), avec pour conséquence que l’interprétation mécaniste n’est légitime qu’à propos des structures organiques qui fonctionnent mécaniquement. L’animal est donc un alliage de réflexes impliquant des processus mécaniques (75). Cet alliage ne s’opère pas nécessairement au niveau d’un système nerveux central: par ex., l’anémone a trois réseaux nerveux différents qui aboutissent à une seule opération (la décomposition de la proie), de sorte que son monde intérieur est plutôt une trinité qu’une unité (75-76). A ce degré de développement de la vie intérieure, l’animal invertébré est une “machine bipartite”, une machine à répondre (Antwortmaschine), au sein de laquelle question et réponse sont traitées par deux organes différents de l’appareil nerveux: l’unité se trouve dans le plan de construction, et non dans le système nerveux, à l’exception notable de la méduse qui perçoit son propre mouvement comme une irritation. Cet “arc-réflexe [Reflexring] qui revient sur soi” peut bien paraître d’une insignifiante simplicité, par comparaison avec la complexité du courant multiforme des réflexes qui parcourent le corps des vertébrés supérieurs, il n’en reste pas moins que cet exemple indique la voie trouvée par la nature pour informer l’appareil récepteur du système nerveux qu’une réponse, le mouvement, a bien été donnée avec succès à l’irritation :

Nur die Medusen haben bisher von allen Tieren eine Ausnahme gemacht, nur sie empfangen ihre eigenen Bewegungen als Reiz zurück, freilich auf Kosten der Umwelt, von der sie keine Reize erhalten. So unbedeutend dieser einfache, in sich zurückkehrende Reflexring auch sein mag, gegenüber dem reichverzweigten Reflexstrom, der durch die höheren Wirbellosen fließt, so zeigt er doch das Mittel an, welches die Natur anwendet, wenn sie die erfolgte Antwortbewegung den rezeptorischen Netzen kundgeben will. Sie verwendet die eigene Bewegung als Reiz.” (206)

le monde intérieur en face du monde ambiant

chapitre central
Die Gegenwelt

Chez les animaux supérieurs, le monde intérieur ne se limite plus à ces fonctions motrices du système nerveux qui constituent le centre de gravité de l’organisation nerveuse des animaux inférieurs, dont les organes sensoriels sont extrêmement simples (191). Car, au niveau de l’appareil moteur des animaux supérieurs, il n’y a pas d’innovations conséquentes, à l’exception de la subordination de plus en plus importante des réseaux moteurs à une instance centrale. En revanche, c’est leur appareil récepteur qui commence à se développer de plus en plus: non seulement les organes réceptifs qui transforment les excitations en irritations se multiplient et se diversifient, mais encore leur mise en valeur (Verwertung) par le réseau central s’enrichit et devient tout autre.

Dans tout système nerveux, la transformation de l’excitation en irritation équivaut à mettre en place un processus, indépendant de ce qui se passe dans le monde ambiant, qui traduit les excitations du monde extérieur dans une “langue des signes nerveuse”: à partir d’un certain seuil quantitatif, l’excitation est remplacée par un signe (Zeichen), sans que le système nerveux des animaux inférieurs ne soit capable de distinguer qualitativement entre les types d’excitation (192).

C’est ce qui change du tout au tout dans l’appareil récepteur des animaux supérieurs et, donc, dans leur monde intérieur qui se complique d’une nouvelle dimension. Désormais, des signes différents permettent à l’organisme de différencier les types qualitatifs d’excitations et même de distinguer le contour spatial des objets: c’est déjà le cas chez le ver de terre (193). Dans les cerveaux plus évolués, la connaissance du monde ambiant ne s’opère plus seulement par l’intermédiaire d’une “langue des signes”: la disposition des réseaux nerveux reflète (widerspiegeln) une partie de la réalité, comme dans un miroir, de sorte que ce nouveau monde intérieur s’interpose entre le système nerveux moteur et le monde ambiant. Le monde intérieur est constitué de deux composantes, à la fois distinctes et coordonnées: la zone motrice et un monde récepteur (rezeptorische Gegenwelt), réceptif aux excitations venues du monde extérieur auquel ce monde en miroir fait face (cf. 205).

Ce monde intérieur constitué d’irritations transmises forme un monde en miroir (Spiegelwelt) qui fait face au monde ambiant : “L’animal ne fuit plus devant les excitations que lui envoie l’ennemi, mais devant une image en miroir de l’ennemi qui naît dans un monde en miroir” (195). Comme cette composante du monde intérieur fait bien plus que refléter les relations extérieures, Uexküll préfère appeler Gegenwelt (monde en face) ce “nouveau monde propre” (Eigenwelt) aux animaux supérieurs à l’intérieur duquel des schémas représentent les objets du monde ambiant: ces schémas, leur nombre et leur teneur, ne peuvent pas être déduits de l’environnement (Umgebung), mais uniquement des “besoins des animaux” qui varient selon le plan de construction des espèces. Contrairement à ce qu’on dit à la suite de Darwinn, les animaux ne sont pas contraints par la nature à l’adaptation (Anpassung) -Uexküll évite sciemment d’employer le pronominal réfléchi sich anpassen (s’adapter)-, ce sont au contraire les animaux qui “se forment leur nature en fonction de leurs besoins spéciaux”:

Die Schemata wechseln mit den Bauplänen der Tiere. Dadurch ergibt sich eine große Mannigfaltigkeit der Gegenwelten, die die gleiche Umgebung darstellen. Denn nicht ist es die Natur, wie man zu sagen pflegt, welche die Tiere zur Anpassung zwingt, sondern es formen im Gegenteil die Tiere sich ihre Natur nach ihren speziellen Bedürfnissen.” (195)
Die Umwelt, wie sie sich in der Gegenwelt des Tieres spiegelt, ist immer ein Teil des Tieres selbst, durch seine Organisation aufgebaut und verarbeitet zu einem unauflöslichen Ganzen mit dem Tiere selbst. […] Man kann sich wohl die von uns gesehene Umgebung des Tieres wegdenken und sich ein Tier isoliert vorstellen. Man kann sich aber nicht ein Tier isoliert von seiner Umwelt denken, denn diese ist nur als eine Projektion seiner Gegenwelt richtig zu verstehen. Und die Gegenwelt ist ein Teil seiner eigensten Organisation.” (196)

Ainsi, la nature et l’animal ne sont pas des choses isolées, mais forment ensemble un organisme supérieur. Le monde ambiant, qui se reflète dans le monde en miroir de l’animal, fait toujours partie de l’animal lui-même, en tant même que son organisation l’a construit et élaboré de sorte à constituer un tout indissociable de l’animal lui-même. C’est que le monde ambiant n’est rien d’autre que la projection du monde en miroir qui lui fait face à l’intérieur de l’animal, et ce monde intérieur fait partie intégrante de “son organisation la plus propre” (eigenste). A propos des libellules, Uexküll dira que “leur monde ambiant est leur propre œuvre [ihr eigenes Werk]” (247).

Adoptant une méthode d’exposition qu’il reprendra en 1934 pour décrire les mondes ambiants simples (chap.4) puis plus complexes (chap.5) à partir de l’analyse des cercles fonctionnels, Uexküll propose en 1909 une “reconstruction” de ces mondes en miroir qui font face (Gegenwelte) au monde ambiant (195) en progressant du plus simple au plus complexe. Le caractère plus ou moins évolué du Gegenwelt réceptif étant fonction de la réceptivité plus ou moins complexe des organes sensoriels, la reconstruction procède depuis la forme du schéma le plus simple, chez les invertébrés, jusqu’aux formes les plus complexes, chez les vertébrés, en passant par les stades intermédiaires de la détection optique du mouvement (Motorezeption), de celle des couleurs (Chromorezeption), de l’image d’un objet spatialement délimité dans le monde ambiant (Ikonorezeption), de la distance entre plusieurs objets, etc. (195-203).

activité de l’animal et plasticité de la vie

Des innovations se produisent à chaque étape de l’évolution. C’est déjà le cas au premier stade de la formation du schéma le plus simple qui ouvre la voie de la constitution d’un Gegenwelt (196-197). En effet, la capacité du ver de terre à se construire une logette pour se protéger de ses ennemis, cette “petite oeuvre d’art” de sa vie intérieure qui l’amène au seuil du règne animal supérieur, fait apparaître (entstehen) dans son monde ambiant “pour la première fois quelque chose de nouveau à côté des excitations, à savoir la forme” (166-167):

Seinen übrigen Feinden gegenüber besitzt der Regenwurm nur das Hilfsmittel des Höhlenbaues. Wir haben gesehen, wie gerade hierbei die ersten höheren Anlagen seines Innenlebens sich kundtun, die dieses kleine Kunstwerk bis an die Pforten des höheren Tierreiches bringen und in seiner Umwelt zum erstenmal etwas Neues neben den Reizen entstehen lassen, nämlich die Form.” (167)

Loin d’être soumission passive à l’environnement qui s’imposerait de l’extérieur à sa sensibilité, la réceptivité de l’animal sensible aux excitations serait, bien au contraire pour Uexküll, une activité constitutive du monde ambiant. C’est le point crucial que vient à nouveau marquer, pour le pointer, l’usage tout à fait significatif d’un pronominal réfléchi, sich aussuchen, qui signifie que l’animal se choisit, par lui-même et pour lui-même, ce qui lui convient (passend) dans le monde extérieur en s’aidant de son appareil récepteur:

Wie die niederen Tiere sich die passenden chemischen und physikalischen Reize aussuchen, so sucht sich das höhere Tier mit seinem entwickelten Augenapparat die passenden Formen, Farben und Bewegungen aus, die seinen Reflexen als Anknüpfungspunkte dienen können und von denen es allein abhängt, unbekümmert und sicher schwebend in der Unermeßlichkeit der Außenwelt.” (212)

Les organes sensoriels de l’animal lui permettent de choisir de lui-même ce qu’il a besoin d’extraire de l’environnement pour en faire son monde ambiant, qu’il s’agisse d’excitations physico-chimiques pour les animaux inférieurs ou bien, pour les animaux supérieurs, des formes, couleurs et mouvements qui peuvent servir de points de départ à ses réflexes. Car l’activité de l’animal n’abolit pas pour autant les réflexes mécaniques qu’organise le plan de construction. Ce n’est pas à ce niveau des réflexes déclenchés que se joue l’activité innovatrice de l’animal, mais à celui du facteur supra-mécanique de l’activité cérébrale: lui-même dépourvu de forme, le protoplasme est à l’origine de la formation de structures (Strukturbildung), “la formation de nouvelles habitudes” renvoyant à des formations nouvelles (Neubildungen) au sein du cerveau lui-même (234). Pour autant, ces “performances protoplasmatiques du cerveau” n’autorisent aucunement à parler d’une psychè ou d’un facteur psychoïde [par essence distinct des processus physiologiques]:

Insofern eine Neubildung von Gewohnheiten auf Neubildungen im Gehirn selbst schließen läßt, ist allerdings aus diesen Versuchen zu schließen, daß ein übermaschineller Faktor im Gehirn tätig ist. Ich sehe aber keine Veranlassung, diesen Faktor eine Psyche oder ein Psychoid zu nennen, denn die Strukturbildung ist eine maschinell nicht auflösbare Eigenschaft des ungeformten Protoplasmas, das gerade durch diese Eigenschaft sich von allen übrigen, geformten und ungeformten Stoffen unterscheidet.” (234)

anthropomorphisme de la projection psychologique

La capacité supra-mécanique du cerveau, sa “plasticité”, ne prouve pas plus que la mémoire associative l’existence d’une “psychè, qui est identique avec la vie ressentie (Emfindungsleben)” (234). Il faut se garder de “toutes les spéculations subjectives qui introduisent l’âme de l’observateur dans cette image objective” du monde ambiant de l’animal qu’Uexküll prétend reconstituer objectivement:

Obgleich die Umwelt vom Standpunkt des Tieres aus rein subjektiver Art ist und nur durch die Gruppierung aller Einzelheiten um das Subjekt des Tieres einen Sinn erhält, so ist sie doch vom Standpunkt des Beobachters aus ein objektiver Faktor, der in objektiven Beziehungen zum beobachteten Objekt steht. Alle subjektiven Spekulationen, die die Seele des Beobachters in dieses objektive Bild hineinziehen, fälschen seinen wahren Charakter und machen es wertlos.” (211)

Le monde ambiant ne fait sens pour le sujet qu’est l’animal que de son point de vue lui-même purement subjectif, ladite subjectivité étant à entendre au sens, d’inspiration kantienne, d’une subjectivité qui n’est pas propre à un individu, mais commune à toute l’espèce. Ni la notion de sens, ni celle de signe n’ont donc, pour Uexküll, une signification d’ordre psychique. Comme le monde ambiant, ce sont des données physiologiques, dont l’observateur humain peut donner une image objective, en s’appuyant sur les sciences de la nature et, en particulier, sur la biologie, du moins à condition de ne pas projeter sa perception, elle-même limitée (253), de “notre propre environnement” sur le monde ambiant de l’animal (248), lequel est plus ou moins riche en fonction de l’espèce (250). Le règne animal peut être figuré comme un emboîtement de cercles concentriques, le monde ambiant d’un animal plus évolué constituant l’environnement d’un animal moins évolué:

wenn man sich die Tiere als Beobachter denkt, so wird jedesmal die Umwelt des höheren Tieres als die Umgebung des niederen Tieres gelten können, in der es von diesem beobachtet wird. Dem Beobachter stellt sich das niedere Tier zusammen mit seiner Umwelt als eine geschlossene Einheit dar, während die Einheit des höheren Tieres mit seiner Umwelt niemals vom niederen Tiere erfaßt werden kann. Diese Auffassung der Tierreiche erzeugt die Vorstellung von immer größeren Kreisen, die den nächst kleineren umschließen.” (252)

« Si l’on pense les animaux comme observateur, le monde de l’animal plus évolué peut à chaque fois passer pour l’environnement de l’animal moins évolué, au sein duquel celui-ci sera observé par celui-là. Pour l’observateur, l’animal moins évolué se présente en corrélation avec son monde ambiant comme une unité fermée, alors que l’unité de l’animal plus évolué avec son monde ambiant ne peut jamais être appréhendée par l’animal moins évolué. Cette conception des règnes animaux produit l’image de sphères toujours plus grandes, qui comprennent la sphère plus petite immédiatement. »

Cette figure de sphères entourant ou englobant d’autres sphères est une représentation forgée par l’observateur, qui présente la corrélation entre l’animal et son monde ambiant comme constituant une unité complète et cohérente (eine geschlossene Einheit). Car, du point de vue de l’observateur extérieur, cette unité du cercle de vie de l’animal serait close ou refermée sur soi (geschlossen), fermée à la perception des sphères qui l’entourent (umschliessen), dans la mesure où l’animal inférieur est incapable d’appréhender en son unité la sphère de vie de l’animal supérieur qui l’observe.

Digression

Dans son cours de 1929/30, Heidegger reprendra cette figure de l’enchâssement des cercles concentriques (S.402-403) ainsi que l’image d’une sphère vitale de l’animal. Par contraste avec Uexküll, Heidegger insistera néanmoins plutôt sur la combattivité dont l’animal doit faire montre pour vivre dans son milieu ambiant, sans évoquer la plasticité innovatrice de la vie animale. D’accord avec l’éthologue pour ne pas attribuer de psychè à l’animal, il ne le serait pas pour envisager que le cerveau humain, loin d’être limité au sens bergsonien de la mémoire-habitude des montages sensori-moteurs, soit doté d’une plasticité créatrice à l’origine de la vie intellectuelle…

Pour ce qui nous concerne, conclut Uexküll, nous sommes entourés d’innombrables réalités inaccessibles à notre réceptivité (Anschauungsvermögen), incapables que nous sommes d’en avoir une vue d’ensemble (überschauen). Il en va ainsi de tous les êtres vivants et, donc, des animaux: ne pouvant prendre qu’un cliché instantané de leur apparition ponctuelle, il nous est impossible d’avoir une image d’ensemble de leur vie, alors même que nous savons qu’elle est cohérente, du début jusqu’à la fin, de par sa conformité à une seule et même loi:

Wir sind eben von zahllosen Wirklichkeiten rings umgeben, an die unser
Anschauungsvermögen nicht heranreicht, die ,,unanschauüch” bleiben, weil sie ,,überanschaulich” sind. Alle Lebewesen, Pflanzen wie Tiere, gehören hierher, wir besitzen von ihnen nur das Bild ihrer momentanen Erscheinung; von ihrem Dasein, das geschlossen vom Keim zum Erwachsenen reicht, und von dem wir wissen, daß es eine einheitliche Gesetzmäßigkeit birgt, können wir uns kein Bild machen. Alle Tierarten und Pflanzenarten, mit denen wir wie mit bekannten Größen operieren, sind überanschauliche Wirklichkeiten.” (253)

Werfen wir erst einen Blick zurück auf die Umwelten der verschiedenen Tiere, die wir betrachtet haben, so erkennen wir, daß überall unsere eigene Umgebung die gemeinsame Basis für alle Betrachtungen abgegeben hat. Die Welt, die uns umgibt, ist die objektive Wirklichkeit, mit der wir es allein zu
tun haben, wenn wir objektive Naturforschung treiben. Sie besteht aus zahlreichen farbigen und vielfach gegliederten Gegenständen und ist voller Töne und Duft. In der gleichen Welt leben scheinbar auch alle Tiere. Jedoch besitzt keines von ihnen auch nur annähernd eine so reiche Wechselwirkung mit all den Gegenständen, mit denen unsere Rezeptionsorgane dauernd
in Berührung kommen.
Jedes Tier besitzt seine eigene Umwelt, die immer größere Verschiedenheiten mit der unseren aufweist, je weiter es sich in seiner Organisation von uns entfernt.” (248)

Le monde (Welt) qui nous environne est constitué par toutes ces réalités objectives qu’étudient les sciences de la nature: plein de couleurs et de senteurs, ce monde ambiant dans lequel nous vivons n’est pas fait de pierres, mais bien plutôt composé de tous ces êtres bigarrés et diversement organisés. Même si nous n’en avons pas de vue d’ensemble, nous sommes entourés par cet “environnement supérieur” qui nous guide d’une manière imperceptible: la vie faisant partie intégrante de ce milieu, elle ne peut qu’échapper à notre vision myope (253). Ce sont les derniers mots de l’ouvrage de 1909 :

“wir leben nicht in einer ,,Umwelt der Steine”, sondern sind von allen Seiten her von einer höheren Umgebung umschlossen, die wir nicht zu übersehen vermögen und von der wir selbst in unerkennbarer Weise gelenkt werden. Und da wir mit dem Worte ,,Leben” diese höhere Umgebung mit umschließen, so entgleitet das Lebensproblem immer wieder unseren kurzsichtigen Augen.” (253)

Biologie théorique (1920 vs 1928, 2e éd.)

Dans ce texte ultérieur, dont la première édition (1920) a été publiée à peu près dans la même période que la seconde édition de Monde ambiant et monde intérieur des animaux (1921), Uexküll va -selon les termes d’A. Portmann- “mettre sa compréhension de la vie animale en accord avec la position philosophique de Kant” [cf. préface d’Adolf Portmann, « Ein Wegbereiter der neuen Biologie », au recueil de Jakob von Uexküll, Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen (1934) & Bedeutungslehre (1940), Rowohlt, Hamburg, 1956, S.8]. Il en résulte un éclairage décapant des avancées d’Uexküll dans la compréhension des mondes intérieurs et ambiants des animaux à la lumière du subjectivisme transcendantal de Kant qui, de réservé qu’il était au genre humain, est généralisé par le biologiste à toutes les espèces animales.

En 1934, Uexküll clarifiera à nouveau l’usage qu’il fait de la référence à Kant pour élaborer sa conception de l’animal comme sujet actif. Entre 1909 et 1940, la raréfaction des occurrences de la notion de besoin peut être interprétée comme une accentuation du constructivisme de sa conception.

2.1.2 la subjectivité (d’espèce) constitutive du milieu animal : Jakob von Uexküll, Incursions dans les milieux ambiants des animaux et des humains (1934) [ajout sur la taupe]

Les animaux ont la capacité naturelle de s’insérer dans l’environnement, leur monde ambiant étant en réalité forgé au cours de l’évolution par leur intervention active. Comme Jakob von Uexküll le montre dans ses Incursions dans les milieux ambiants des animaux et des humains (1934), l’animal est bien un sujet actif qui remarque dans son milieu ce qui a une signification (Bedeutung) vitale pour lui et, à partir de là, en extrait ce dont il a besoin par des opérations tout aussi actives : la taupe, par exemple, creuse les galeries de son territoire souterrain où elle cherche ses proies (vers de terre, limaces, etc.). C’est en effet l’ambiance (Stimmung) dans laquelle le sujet animal se trouve, par exemple lorsqu’il a faim, qui décide de la tonalité (Tönung) que prennent les objets de son monde ambiant, lesquels sont identifiés à partir des images qu’il en a (Merk- und Wirkbilder).
Pour autant, contrairement aux apparences, toutes ces notions n’ont aucune signification psychique et ont un sens simplement physiologique : images, tonalités, significations, etc. peuplent le cerveau et le système nerveux du monde intérieur de l’animal. Si les machinistes que sont les animaux remarquent bien les signaux, lorsqu’ils se présentent, il y aurait en revanche quelque anthropomorphisme à prétendre que la tique, par exemple, attend ce signal dont dépend sa reproduction. Ce monde intérieur dont le biologiste parle est une vie d’ordre strictement physiologique, tout à fait comparable à la mémoire-habitude des montages sensori-moteurs qui caractérisent l’activité cérébrale de l’être humain selon Bergson.

2.2 l’agressivité instinctive des animaux : Konrad Lorenz (1903-1989), Das sogenannte Böse -zur Naturgeschichte der Aggression (1963): chap.4-6 et chap.11

voici un bel exemple de symbiose et, à présent,
le spectacle de quelques parades nuptiales : paradisiers vs  grèbes !
Comment est-ce possible?

a. fonction vitale de l’agressivité : son utilité directe pour la perpétuation de l’espèce

Dans L’agression (trad. fr. 1969, p.172-173), Lorenz explique que l’agressivité du mâle contre la femelle peut être réorientée vers l’agression d’un intrus imaginaire : on voit ici la réaction d’auto-défense d’un couple de grues cendrées, confronté à l’intrusion d’un autre mâle, bien réel, chassé par le mâle avec l’assentiment de la femelle qui le pousse à cela.

b. détournement de l’agressivité : son utilité indirecte

Lorenz décrit de multiples cas de combats codifiés ou ritualisés qui sont la conséquence de la transmutation phylogénétique du combat destructeur en combat d’honneur :
1. par exemple, entre poissons agressifs, cela peut prendre la forme de la “parade de flanc“, qui constitue une menace de bordée, ou encore celle du “combat de gueules” ;
2. autre exemple bien connu, le combat de cervidés mâles en rut, illustré par un combat codifié entre wapitis ou entre élans !

c. canalisation sociale de l’agressivité : de la bande anonyme au lien personnel de l’amour et de l’amitié (chap.11)

d. l’impasse de l’agressivité humaine: l’aporie des sociétés humaines

e. conclusion sur le vécu subjectif des animaux

Analogie sans anthropomorphisme

résumé

Il y a une évidence intuitive qui s’impose à nous lorsque nous observons certains comportements d’animaux. Nous percevons tout de suite la joie d’un chien ou sa déprime. Mais nous ne saurons jamais ce qu’ils vivent et ressentent effectivement. Constatant, par exemple, le chagrin des oies cendrées lorsqu’elles ont perdu leur partenaire sexué, Lorenz réfute l’idée qu’il s’agisse d’une projection anthropomorphique. Nous reconnaissons d’emblée ce chagrin comme un comportement qui correspond, sans être identique, à ce que nous pouvons ressentir nous-mêmes. Mais, en contrepoint de cette évidence intuitive, l’éthologue invoque un raisonnement par analogie qui compare le système nerveux de l’animal au nôtre pour en induire qu’il est capable de vivre ce que nous pensons qu’il vit, alors que nous ne pouvons pas imaginer qu’une huître souffre d’être avalée. Il est donc impossible de savoir ce que les animaux éprouvent subjectivement, mais nous savons qu’ils éprouvent quelque chose au niveau psychique, grâce à cette faculté d’empathie qui se conjoint à un raisonnement portant sur le développement du système nerveux.

L’Agression (1963)

L’objectif poursuivi par Lorenz dans son essai sur L’Agression (1963), c’est de construire des modèles d’interaction entre différents instincts dans le but de repérer des lois objectives, et ce en évitant toute « subjectivation anthropomorphique » (S.130), c’est-à-dire toute projection sur les animaux du vécu subjectif de l’être humain. Mais refuser l’anthropomorphisme ne revient pas à nier qu’il y ait un vécu subjectif chez les animaux.

Il y a une évidence intuitive qui s’impose à nous lorsque nous observons certains comportements d’animaux. Nous percevons tout de suite la joie d’un chien ou sa déprime. Nous pouvons, de surcroît, apprendre à reconnaître les signes de sa peur ou de son agressivité en suivant la méthode d’analyse motivationnelle (S.98-99). Mais nous ne saurons jamais ce qu’ils vivent et ressentent effectivement.

Constatant, par exemple, le chagrin des oies cendrées lorsqu’elles ont perdu leur partenaire sexué, Lorenz réfute l’idée qu’il s’agisse d’une projection anthropomorphique. Il lui faut pour cela expliquer les causes à l’origine de la production de cette réaction instinctive. La raison en est que la fidélité à vie du couple chez les oies cendrées provoque bien un chagrin profond en cas de veuvage. Car le cri triomphal, tout le temps présent dans la communauté, est devenu, au cours du temps de l’évolution phylogénétique, un instinct incompressible qui provoque un besoin tout aussi incompressible du partenaire (S.196), de sorte que la perte du partenaire est dramatique et déclenche chez l’autre oie une véritable dépression qui se manifeste par l’absence de combattivité de l’oie (S.197). Cette déprime de l’oie esseulée est interprétée par Lorenz comme analogue au chagrin humain sur la base de la description des symptômes dépressifs qu’on peut observer, respectivement, chez les enfants et chez les oies : par exemple, l’affaiblissement du système sympathique se traduit par un manque de tonus perceptible autour des yeux, sous la forme de cernes ou de pattes d’oie (S.198/fr.p.203).

*Il est important de constater que Lorenz décrit le symptôme (psychosomatique) de manière physiologique pour justifier l’emploi de termes psychologiques comme chagrin et dépression [*CF].

Contre la thèse cartésienne d’après laquelle l’animal n’a pas d’âme, Lorenz défend donc l’idée que l’animal a un vécu subjectif (subjectives Erleben – trad. fr. par « émotions ») et, donc, des sentiments (Gefühl), bien qu’il nous soit impossible de dire scientifiquement ce que ressent l’animal : car « le système nerveux des animaux est différent du nôtre, tout comme le processus physiologique qui s’y joue, et il est certain que le vécu de l’animal qui se déroule parallèlement à ce processus physiologique est qualitativement différent du nôtre » (S.198/fr.p.203). Dans le paragraphe suivant, Lorenz constate que les animaux arrachés à leur environnement perdent le goût de vivre, tout comme les oies ayant perdu leur partenaire. C’est ce qui l’amène à soutenir que, dans le cas des oies, le partenaire est l’équivalent de la demeure dans le cas d’autres espèces : ce concept d’un animal ayant le sens de la valeur de la demeure (Tier mit Heimvalenz), selon Lorenz ; « évite toute subjectivation anthropomorphique du comportement animal » (S.199/fr.p.204).

C’est dire qu’il n’y a, selon Lorenz, aucun anthropomorphisme à raisonner par analogie, par exemple en voyant dans le cri triomphal des oies un modèle extrêmement simplificateur de l’amitié et de l’amour chez les êtres humains (S.199/fr.p.204).

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« Haben Tiere ein subjectives Erleben ? » (1963)

Dans un article contemporain de son essai, intitulé « Haben Tiere ein subjectives Erleben ? » (1963), Lorenz va compléter son schéma en invoquant un argument phénoménologique, l’évidence intuitive, pour conforter son raisonnement par analogie. Mais l’éthologue va prendre soin de bien discerner ce raisonnement d’un autre type d’analogie qui, pour sa part, tombe bel et bien sous le chef d’accusation d’anthropomorphisme.

L’analogie fondée sur l’observation expérimentale de la réaction d’un animal à une récompense ou un châtiment implique bien une « subjectivation du comportement », dans la mesure où la réaction de l’animal est interprétée de manière psychologique, à partir de la comparaison avec la manière dont un être humain réagirait au plaisir ou au déplaisir ressenti subjectivement [*ce serait donc, de la part de l’être humain, une réaction psychologique]. Dans les conditions expérimentales de la production d’un réflexe conditionnel [*comme celui du chien bavant de Pavlov], les psychologues béhavioristes, raisonnant à partir de la psychologie humaine, induisent de la réaction de l’animal une « dimension subjective » de ce qu’il est en train de vivre (comme étant psychologiquement ou subjectivement agréable ou désagréable), alors que les réactions au dressage sont consécutives à des mécanismes d’apprentissage fondés sur la transmission d’informations.

Par contraste, c’est à partir de l’observation du comportement des animaux dans leur milieu naturel que Lorenz prétend induire directement l’existence du vécu subjectif des animaux (et non son contenu). Les mouvements et les cris des animaux évolués, par exemple la plainte d’une jeune oie dans une situation désagréable ou la tristesse du chien, manifestent immédiatement le plaisir et le déplaisir, sans qu’on ait besoin d’interpréter psychologiquement en quoi pourrait consister ce type spécial de sentiment propre à l’animal : il n’y a donc là aucune analogie, mais une forme d’empathie (S.371). L’observation directe fait qu’on reconnaît, grâce à une forme d’évidence intuitive contraignante, ce que l’animal est en train de vivre. C’est un événement vécu (Erlebnis) de notre part : il se produit la même chose vis-à-vis de l’animal que ce qui se passe entre êtres humains. Cela explique pourquoi on souffre quand on voit un animal évolué souffrir, bien que l’on souffre plus ou moins, et ce en fonction du développement de leur système nerveux : par exemple, écrit Lorenz, « je tue moi-même une huître sans aucune compassion » (S.361). C’est à ce niveau qu’intervient un raisonnement par analogie qui ne revient pas à projeter un sentiment humain sur l’animal : la corrélation constatée, chez l’être humain, entre processus nerveux et vécu subjectif autorise à supputer que l’animal au système nerveux évolué doit bien, lui aussi, vivre et ressentir (erleben) quelque chose de comparable à ce que nous vivons (tristesse, chagrin, etc.)

Autrement dit, la prise en compte objective du système nerveux de l’animal autorise un raisonnement par analogie, non anthropomorphique, qui intervient en contrepoint de l’évidence intuitive, pour en induire que l’animal éprouve quelque chose d’analogue à notre vécu subjectif.

2.3 l’énigme animale : Adolf Portmann (1897-1982)
2.3.1 expressivité phénoménale et créativité esthétique de l’aspect extérieur des animaux : Die Tiergestalt (1948 vs 1960)
2.3.2 plasticité et complexité du jeu social entre congénères aux nuances individuelles : Das Tier als soziales Wesens (1954)

2.3.1 expressivité phénoménale et créativité esthétique de l’aspect extérieur des animaux : Die Tiergestalt (1948 vs 1960)

prestance de la présence
en contrepoint de la performance de la survivance

Prestance de la présence majestueuse
contre performance de la survivance

Adolf Portmann (1897-1982) publie Die Tiergestalt en 1948. Le terme Gestalt n’est pas employé dans le sens que Hegel lui donne dans l’Encyclopédie des sciences philosophiques (1831), à savoir comme processus vivant d’autoformation (Gestaltung) de l’organisme (S.459) qui développe ses parties différenciées (système nerveux, musculaire, digestif, etc.), en organise la compénétration et la régénération (§353-356). En revanche, l’usage que Portmann fait du terme rejoint l’acception dont Hegel fait usage dans la section de l’Esthétique consacrée à la sculpture des figures idéales (ideale Skulturgestalt), en particulier au moment où il propose une interprétation spéculative du corps animal de l’être humain et, en particulier, de sa tête par contraste avec la gueule des animaux (II, S.383-396) : la figure du corps, proprement incarné (die leibliche Gestalt), de l’humain et tout particulièrement son visage (Gesicht) sont habités par l’esprit, alors que le corps de l’animal, prisonnier de la nature, est dépourvu d’esprit ; or, selon que le corps est habité par l’esprit ou par une âme sans esprit, son aspect esthétique est plus ou moins harmonieux et intéressant ; dans le cas de l’animal, sa présentation (Darstellung) sculpturale n’a d’intérêt qu’associée à une divinité ou une forme humaine (II, S.422).

Portmann contredirait Hegel sur ce point en mettant en avant la beauté de la composition de l’aspect extérieur du corps des animaux. S’inspirant du gestaltisme, le biologiste entendrait par Gestalt l’impression d’ensemble que produirait l’aspect global du corps animal. Ce qui s’accorderait avec la signification étymologique du terme. Tout comme le grec eidos (aspect extérieur et, donc, forme du corps, air d’une personne vs les traits du visage) et le latin figura (l’ensemble des traits constituant la forme d’un corps), l’allemand Gestalt désigne l’aspect (Aussehen) extérieur ou la constitution (d’un corps apparaissant aux sens) : participe substantivé du verbe stellen, il a pour sens premier das Gestellte, ce qui est posé et com-posé (ge-stellt) en un ensemble (Ge-stalt), à du moins se risquer à donner au participe passé une valeur de collectif…

C’est donc l’aspect, perceptible aux sens, de la composition d’ensemble du corps de l’animal qu’il s’agit de rendre sensible en le faisant apparaître comme le phénomène qu’il est, ou plutôt qu’il devrait être à nos yeux. Car, selon le double sens du terme Erscheinung, l’apparition de l’animal est phénoménale. Nul besoin de quitter le « monde de la perception naïve » pour en faire une expérience marquante (Erlebnis) en éprouvant de la joie à admirer la richesse de ces compositions (S.9) ! C’est ce que déclare Portmann dans sa préface à la seconde édition de 1960 : issues d’une fréquentation assidue de l’aspect du corps vivant des animaux (lebendige Gestalten), les études de sur « l’apparition animale » visent à poser la question du sens d’une telle apparition à partir d’une expérience sensible qu’il nous est possible de vivre (durch das Erlebnis der Sinne zu den Fragen des Sinns).

L’objectif poursuivi est de comprendre la signification singulière de l’aspect esthétique de la composition des corps, sans se laisser entraîner à une explication réductrice de la fonction vitale, par exemple, des couleurs permettant à la proie de se fondre dans l’environnement ou de la ramure des cervidés comme armes nécessaires à la reproduction. Ce qui est visible ayant une valeur propre (Eigenwert des Sichtbaren), il ne faut pas laisser cette signification remarquable (das Bedeutsame) être dévalorisée comme une simple enveloppe de l’essentiel qui se trouverait à l’intérieur de l’organisme vivant (Die Tiergestalt, Herder, 1965, S.36) :

« Les caractères de la composition d’ensemble [du corps de l’animal] ont une valeur de forme, particulière, qui ne sert ni à la conservation, ni à la communication d’un changement affectif. Cette valeur de forme met en lumière la singularité de cette formation plasmatique particulière. La particularité qui est déjà là dans la structure invisible de la matière vivante, le protoplasme, qui se manifeste dans toutes les réactions du sang et détermine également le type singulier de comportement, cette particularité est perceptible [sinnfällig] dans l’empreinte de l’apparition extérieure [du corps animal]. Le physiologue hollandais et psychologue des animaux, Buytendijk, a appelé ce sens de l’apparition la “valeur d’être démonstrative” ; je l’ai désigné comme la “valeur de présentation”. Les deux termes veulent diriger l’attention sur une signification essentielle de l’aspect extérieur qui a trop souvent été éclipsée lors de la recherche de fonctions immédiatement nécessaires à la vie. […] L’insistance sur la valeur de présentation [Darstellungswert] doit rediriger le regard vers la propriété la plus significative de l’aspect, qui fait apparaître la particularité de cette forme de vie dans la langue des sens et atteste immédiatement cette particularité dans la forme. » (226-227).

introduction
Une discrète réponse de Portmann à Heidegger

Dans Sein und Zeit (1927), Martin Heidegger avait, en passant, à la fin du §68b sur la temporalité de l’affection, concédé sa difficulté à cerner la spécificité ontologique de l’animal, qui vit purement et simplement : alors que l’affection humaine présuppose ontologiquement le temps passé auquel est renvoyé le dasein affecté, la question demeure irrésolue de savoir « comment sont à circonscrire ontologiquement l’excitation et l’impression des sens, chez un être uniquement vivant, comment et où l’être des animaux en général est par exemple constitué par un “temps” » [346]. La raison de l’aporie avait été énoncée en amont, dans la section qui démarque l’analytique du dasein par rapport à l’anthropologie, la psychologie et la biologie (§10) : comme « Vivre est un type d’être propre qui, néanmoins, n’est accessible qu’au dasein » humain, l’ontologie de la vie qui déterminerait l’être permettant de seulement vivre (Nur-noch-Leben) relève d’une interprétation privative, vivre n’étant ni être comme une chose seulement présente (vorhanden), ni être là comme un être humain [§50]. Dans son cours de 1929/30, Heidegger soutiendra en ce sens la thèse d’une différence d’essence entre les trois types d’être : la pierre est dépourvue de monde ; l’animal est pauvre en monde (weltarm) ; l’humain est constitutif du monde (weltbildend).

Tout à fait discrètement, Adolf Portmann lui répond en 1948 que seules les espèces inférieures de vie animale ont un domaine de vie sourde et pauvre en expression (ausdrucksarm), c’est-à-dire une manière d’être au sein de laquelle le propre vécu intérieur est peu développé (eine Weise des Seins, bei der eigenes inneres Erleben nur wenig entwickelt ist), alors que les formes de vie supérieures manifestent une vie intérieure bien plus riche (S.207-208). Loin d’être pauvre en monde, l’animal serait bien plutôt créateur de monde (weltschaffend). Cette formule, qui semble reprendre pour l’accentuer le motif heideggerien d’un être humain formateur de monde (weltbildend), est employée par Portmann à l’occasion d’une présentation de l’œuvre d’Uexküll qui fait en passant discrètement référence à Sein und Zeit.

Dans la préface de 1956 à la réédition des Incursions dans les milieux ambiants des animaux et des humains (1934) de J. von Uexküll, Portmann souligne en effet que cet « excellent physiologue de la vie animale inférieure » a su, contre le mécanisme, reconnaître la propriété supra-mécanique du protoplasme et le fait mystérieux de la conformité à un plan de l’organisme comme formant un tout en corrélation structurelle avec son monde ambiant (S.8), reconnaissant ainsi dans ces intrications du vivant avec des parties de l’environnement « l’activité du centre vivant comme sujet créateur de monde [weltschaffend] » (15). S’en tenant aux méthodes des sciences de la nature, Uexküll avait écarté toute forme de psychologie animale et il s’était donc refusé à dire quoi que ce soit sur le vécu subjectif de l’animal (13), interprétant la tonalité (Tönung) différente que prennent les objets extérieurs pour chaque sujet vivant (en fonction de l’espèce animale) comme correspondant à un état intérieur, dénommé atmosphère ou humeur (Stimmung), qui serait d’ordre chimique (14). Depuis qu’Uexküll avait franchi ce premier pas vers la reconnaissance de « l’intériorité cachée » (10) de l’animal, l’avancée la plus considérable a consisté, selon Portmann, à approfondir les éléments attestant « l’autonomie […] de l’être vivant comme un centre particulier d’activité et aussi d’un vécu [Erleben], lequel est apparenté de manière cachée à ce que nous connaissons de mieux de notre propre intimité. Seule la connaissance de cette “intériorité”, de la singulière manière d’être [Seinsweise] du vivant et en particulier de l’animal donne toute sa signification à ce qui est observé de l’extérieur. » Considérant cette intériorité comme une énigme à résoudre scientifiquement, Portmann propose d’en étudier « toutes les expressions [Äußerungen], toutes les communications » par le moyen d’une observation objective de l’animal (14).

Invoquant le concept de Stimmung utilisé par Uexküll en 1934, Portmann en pointe l’écho philosophique par une référence transparente à l’analytique existentiale de l’affection (Befindlichkeit) comme manière d’être là (pour le dasein humain) que Heidegger propose au §29 de Sein und Zeit : tout comme la philosophie a découvert ou plutôt redécouvert l’importance fondamentale de la Befindlichkeit, il s’agit de parvenir, par de tout autres voies, à « ce fondement essentiel de l’action et, donc, à une manifestation objective de la manière d’être [Seinsweise] de l’intériorité animale, qui nous reste cachée en tant que vécu [Erlebnis]. » (15). C’est précisément ce qu’avait entrepris Portmann dans Die Tiergestalt (1948 vs 1960) :

« Avant toute fonction au service de la conservation de l’individu ou de l’espèce, au service de performances sociales ou de la défense contre les ennemis, avant toutes ces fonctions et leur donnant même un sens, il y a cette simple apparition en tant qu’auto-présentation […]. C’est pourquoi l’étude de l’aspect global [Gestalt de l’animal] dépasse le domaine des structures fonctionnelles qu’établit la recherche physiologique. Or une telle morphologie complète présuppose de reconnaître qu’il faut observer l’apparition “visible” du vivant au sens le plus large et le vivre en tant que manière d’être fondée dans l’insaisissable secret de la réalité effective. » (Die Tiergestalt, Herder, 1965, S.236).

2.3.2 plasticité et complexité du jeu social entre congénères aux nuances individuelles : Adolf Portmann, Das Tier als soziales Wesens (1954)

Un anthropomorphisme critique assumé

Adolf Portmann trace la voie qui permet de reconnaître l’énigme animale tout en usant sciemment d’« expressions ultra-anthropomorphiques » : s’il compare ainsi, par exemple, le comportement de certaines femelles vis-à-vis des mâles de l’espèce des crabes violonistes à ce qu’il « faudrait probablement désigner, chez les espèces plus évoluées, comme une sorte de flirt prude », c’est qu’il n’est pas parvenu à « trouver d’autres mots pour présenter correctement l’agissement de ces femelles.[1] » Sans crainte de succomber à une “humanisation” du monde intérieur de l’animal, Portmann s’appuie sur Uexküll pour justifier l’extrapolation aux animaux de ce qui relève, dans l’expérience proprement humaine du monde, de ce que Heidegger appelle Stimmung[2] dans le §29 de Sein und Zeit (1927) intitulé Befindlichkeit. Partir de notre propre expérience d’être sentant et agissant dans le monde pour considérer tous ces petits êtres vivants comme des « centres très actifs d’une riche intériorité », cela ne revient pas à les humaniser, vu que nous ne prêtons pas nos propres sentiments aux insectes[3] ou aux crustacés, et que nous avons parfaitement conscience de leur altérité. C’est la comparaison anthropomorphique avec notre propre expérience qui permet d’affronter ce qui constitue le véritable danger selon Portmann : le refus mécaniste de concevoir l’animal comme centre vivant de configuration active de son monde. Même si l’anthropocentrisme semble incommensurable, le choix assumé d’user d’expressions anthropomorphiques pour présenter la vie des animaux n’est pas aussi dangereux :

« Nous connaissons l’altérité [Andersheit] de ces crabes violonistes ; aujourd’hui, les biologistes risquent bien moins qu’autrefois d’humaniser l’animal.[4] ».

Tel amendement décisif au raisonnement, il faudrait bien distinguer anthropocentrisme et anthropomorphisme. L’anthropocentrisme, qui élève le genre humain au-dessus du règne animal, est au cœur de l’assimilation mécaniste de l’animal à une machine. C’est ce qui rend impossible l’expérience de l’altérité de la vie animale, et non pas l’anthropomorphisme qu’il faut justifier, à l’instar de Jonas, au lieu de le considérer comme un « délit honteux »[5]. Car, s’il faut déconstruire l’anthropocentrisme, il convient en revanche d’assumer l’anthropomorphisme comme condition initiale pour aborder la signification d’un comportement propre à une espèce animale à partir d’une comparaison, plus ou moins judicieuse, qui est bien souvent sédimentée dans la langue. L’opération critique consiste précisément à faire le tri entre les préjugés à écarter et les clins d’œil à retenir dans les comparaisons anthropomorphiques qui varient, d’ailleurs, d’une langue à l’autre. Différente selon les langues, la dénomination même de l’espèce des crabes appelés violonistes en français en donne un exemple probant : la pince hypertrophiée que le mâle agite latéralement inspire différentes comparaisons, selon que le point de vue de l’observateur humain se focalise sur le combat de boxeurs entre mâles (Uca pugilator) ou sur le geste du mâle attirant la femelle dans son nid en lui faisant signe (Winkerkrabbe) par un mouvement qui rappelle vaguement la manière dont un violoniste utilise son archer. La comparaison n’est qu’un point d’appui initial pour comprendre la spécificité du comportement de l’animal, qui ne flirte pas plus qu’il ne joue du violon. Car l’image suggestive invite à faire connaissance avec un comportement ou même un animal inconnu jusqu’alors et, donc, elle entraîne à faire l’expérience de l’altérité animale, par exemple en observant le crabe jouer du violon ou en écoutant l’oiseau-lyre chanter pendant la parade nuptiale d’un mâle dont la traîne ressemble à une lyre. Tous ces exemples montrent que les comparaisons anthropomorphiques ne sont pas des obstacles, mais des tremplins pour la connaissance. L’obstacle épistémologique à l’expérience de l’altérité énigmatique de la vie animale, c’est l’anthropocentrisme et non pas l’anthropomorphisme.

Adolf Portmann a trouvé une solution élégante à la quadrature du cercle anthropocentrique qu’il s’agit de déconstruire… Observant un chat qui le regarde, Hans Jonas tracera une voie similaire, tout aussi élégante, pour aborder l’altérité animale en s’inspirant, sans le dire, de Portmann pour contredire Heidegger !

[1] Adolf Portmann, Das Tier als soziales Wesen (1953), Herder, 1964, S.181-182.
[2] Ibid., S.190-194. C’est le titre même du chapitre vi : « Stimmung ».
[3] Ibid., S.275.
[4] Ibid., S.324-325.
[5] Hans Jonas, « Evolution und Freiheit » (1983/84), Philosophische Untersuchungen und metaphysische Vermutungen, Suhrkamp, 1994, S.15-16. Trad. fr. dans Évolution et liberté, Payot & Rivages, 2005, p. 32.