S’agréger Kant

II.
Critique de la raison pratique
(1788)
une approche

La morale selon Kant: des Fondements… (1785) à La fin de toutes choses (1794)

La morale selon Kant

Si Kant laisse indécidée la question de l’existence de la liberté sur le plan spéculatif des problèmes posés par les idées de la raison pure, en revanche au niveau pratique le fait de l’expérience de la moralité permet de reconnaître l’essence pratique de la liberté et même de prouver (beweisen) la réalité objective de la liberté : l’idée de liberté se révélant (sich offenbaren) à travers la loi morale (dont nous avons connaissance – wissen (savoir) – par ladite conscience morale = Gewissen), « la loi morale est la ratio cognescendi de la liberté » comme condition de possibilité de la loi morale dont elle est la ratio essendi [KpV, 1788, préface, VII,107-108 ; cf. « Analytique des principes » (section 1), §6-rem., VII, 140) ; par contraste, Dieu et l’immortalité (de l’âme) ne sont que « la condition de l’objet nécessaire d’une volonté déterminée par cette loi », c’est-à-dire le Souverain bien (das höchste Gut).

Ce qui était problématique pour la raison spéculative est désormais admis (angenommen) par la raison pratique de manière assertorique, comme une « assertion » donc (109), et ce sur le fondement de la loi apodictique de la raison pratique (107). L’énigme de la Critique consiste ainsi à concéder aux objets de la raison pratique la réalité objective qui leur a été refusée au niveau spéculatif à cause de l’usage suprasensible des catégories (109). La solution consiste à reconnaître la double causalité, la causalité de la liberté déterminée par la loi morale et la causalité du mécanisme naturel déterminé par la loi de la nature, causalités qui se produisent simultanément dans un seul et même sujet humain considéré à la fois comme être en soi-même, au niveau de sa conscience pure, et comme phénomène, au niveau de sa conscience empirique (110-n.). De la sorte, la raison pratique procure une réalité à la liberté comme objet suprasensible de la catégorie de causalité : ce qui permet de confirmer par un fait ce qui était seulement pensé au niveau spéculatif de la critique de la raison pure. Ce fait de la raison est la loi morale qui s’impose à la conscience comme obligation de contredire les penchants sensibles qui lui sont opposés.

C’est la révolution copernicienne dans la morale que Kant que Kant qualifie de « paradoxe de la méthode dans une critique de la raison pratique » (180, 139*-140, 79*, 182*) : ce n’est pas le Bien objectif qui est à l’origine du devoir ; c’est au contraire la conscience morale de la loi objective de la raison – comme Faktum (fait) de la raison – qui est à l’origine du Bien (à produire dans le monde).

Fondation en vue de la métaphysique des mœurs (1785)

Préface

La philosophie est pure à partir de principes a priori, lorsqu’elle est purement formelle : elle est alors logique, ou lorsqu’elle a un contenu déterminé (lois ou objets déterminés de l’entendement) : en tant qu’elle est épurée de tout élément empirique, elle est alors Métaphysique soit de la nature, par contraste avec la physique, soit des mœurs, par contraste avec « l’anthropologie pratique » = c’est la partie empirique de l’éthique, par contraste avec la partie rationnelle qui s’appelle à proprement parler la morale. Son objet est « l’idée commune du devoir et des lois éthiques », par exemple le devoir de ne pas mentir : le fondement de cette obligation se trouve a priori dans une loi et donc dans des concepts de la raison pure, et non dans la nature humaine ou dans la situation du monde (à l’origine de règles pratiques d’origine empirique).

Ces lois a priori d’êtres raisonnables, qui ne peuvent donc rien emprunter à l’anthropologie, exige néanmoins une faculté de juger exercée par l’expérience, à la fois pour discerner les différents cas de figure où la loi s’applique, et également pour s’imposer à une volonté (aux prises avec les inclinations sensibles) de façon à pouvoir intervenir efficacement et concrètement sur le mode de vie, c’est à dire sur la manière concrète de mener sa vie (Lebenswandel). C’est que la volonté est partagée entre un principe formel a priori et un mobile (Triebfeder) matériel a posteriori (26)

Autrement dit*, il ne s’agit pas d’appliquer la loi sans réfléchir, comme si une application automatique et irréfléchie était possible : la réflexion sur les motivations de l’action étant incontournables, la décision et la résolution morales, loin d’être immédiates, sont par conséquent médiatisées par la réflexion, même si la loi de la raison impose immédiatement le respect (VII,28). Car une dialectique naturelle ratiocine contre la rigueur de la loi pour en corrompre la pureté (32).

Cela atteste la nécessité d’une culture de la raison dans l’objectif d’apporter une clarification par rapport à la connaissance commune de la raison, qui confond les dimensions empirique et pure sous l’emprise d’une corruption des mœurs. Les mœurs étant soumises à la corruption, une métaphysique des mœurs est nécessaire par rapport à la connaissance commune de la raison et par rapport à la philosophie pratique qui confond les dimensions pures et empiriques avec pour conséquence de corrompre les lois strictes du devoir en ratiocinant. Mais cette métaphysique des mœurs s’appuie tout autant sur le bon sens (pour acquérir une certaine popularité), de façon à conquérir le principe suprême de la moralité en partant du sens commun, pour passer de « la connaissance morale commune par la raison » à la philosophique [section I], avant de passer de la philosophie morale populaire à la métaphysique des mœurs [section II] et enfin à la critique de la raison pure pratique [section III]. En 1788, Kant écrira dans la préface que la fondation en vue d’une métaphysique des mœurs a permis de faire provisoirement connaissance avec le principe du devoir (VII,112).

Section I

La stratégie de Kant dans cette section, c’est de partir du sens commun… sans présupposer la disposition morale comme un sens moral.