Clausewitz (2015)

Violence à la guerre

Pour Clausewitz, la guerre est « un vrai caméléon » qui change d’aspect selon l’importance prise par les trois tendances constitutives de cette « remarquable Trinité » :

  1. « la violence (Gewaltsamkeit) originaire de son élément, la haine et l’hostilité, qui sont à considérer comme un instinct naturel aveugle » qui habite le peuple, la guerre embrasant des passions déjà présentes au sein des peuples ;
  2. « l’activité libre de l’âme », qui calcule les probabilités et joue avec le hasard, est plutôt le fait du chef de l’armée ;
  3. « le simple entendement», qui fait de la guerre un instrument subordonné en vue d’un but politique, est la prérogative du gouvernement [De la guerre (1818-1830), livre I,  28]
contenir la violence haineuse

Les deux tendances stratégique2 et politique3 permettent seules de contenir la première des trois tendances constitutives de la guerre, la tendance originaire de la guerre qui est tout aussi bien l’élément même de la guerre : l’hostilité et la haine de l’ennemi comme condition de l’affrontement des combattants, lequel exclut toute autre considération que la logique même du combat lui-même qui requiert l’usage de la violence pour gagner la guerre et court donc le risque de son déchaînement. Car « la tendance véritable de l’art martial », c’est l’utilisation extrême de la violence sans égard pour le sang versé dans la mesure où seule cette extrémité permet de l’emporter sur l’adversaire en manifestant une force de résolution mentale supérieure à l’autre : ce qui produit effectivement une escalade de la violence qu’il convient de contenir pour éviter le cas de figure d’une « guerre absolue » qui pousse la logique de l’affrontement violent jusqu’à la conséquence extrême de l’anéantissement politique ou militaire de l’ennemi.  Pour Clausewitz, la violence exercée pendant la guerre est humainement indissociable de l’hostilité ressentie sous la forme de la haine éprouvée pour l’ennemi (hostis).

intensification moderne de la guerre

Or l’officier prussien constate que la guerre a récemment changé de nature, les guerres révolutionnaires et napoléoniennes s’étant substituées à la guerre conventionnelle de cabinets jusqu’aux : depuis lors, la guerre est devenue l’affaire de tout un peuple avec pour conséquence de déchaîner l’élément guerrier[1]. Au XIXe siècle donc, les peuples entrent dans la balance avec toute la virulence de leur haine instinctive pour l’ennemi : la guerre populaire (Volkskrieg), dont la guérilla n’est qu’un aspect, est en fait une conséquence de la « percée à notre époque de l’élément guerrier hors de son ancien cantonnement artificiel, une extension et un renforcement du processus de fermentation qu’on appelle guerre[2] ». C’est une nouvelle stratégie de la guerre moderne qui consiste à combiner armée régulière et troupes irrégulières, les corps francs du peuple animés par la haine de l’ennemi pouvant détruire les bases de l’armée adverse en déclenchant un brasier qui se propage lentement avant de produire un incendie général.

[1] Carl von Clausewitz, Vom Kriege, partie III, livre VIII, chap. 3B.
[2] Ibid., partie II, livre VI, chap. 26, p. 296.