Clausewitz (2015)

un cours sur l’ouvrage De la guerre de Carl von Clausewitz, professé en 2015, sera mis en ligne dès que possible. En attendant, en voilà quelques éléments:

1.

D’après la célèbre formule de Clausewitz, « la guerre est une simple perpétuation de la politique par d’autres moyens » : elle est le moyen de la fin politique qui est poursuivie et, à ce titre, elle est « un véritable instrument politique ». Carl von Clausewitz, Vom Kriege (1832), livre I, chap. 1, § 24 vs livre VIII, chap. vi b ; trad. fr. De la guerre, Payot, « Petite Bibliothèque », 2014, p. 43-44 vs p. 342. En voir la reprise schmittienne dans Le concept de politique : Carl Schmitt, Der Begriff des Politischen, Duncker & Humblot, 1932, p. 34 et n. 10 ; trad. fr. La notion de politique, Calmann-Lévy, 1972, p. 73-74 et note p. 201-202.

Clausewitz n’a pas tort de diagnostiquer, au début du xixe siècle, une révolution décisive dans l’art de la guerre : depuis la Révolution française, des guerres fondées sur l’enrôlement de masse de la population prennent bien la relève des prétendues « guerres en dentelles » entre armées royales professionnelles, même si cette expression est un véritable euphémisme (par exemple, la guerre de sept ans entre la Prusse et la Russie a eu un coût humain d’un million de morts). Carl von Clausewitz, Vom Kriege (1832), livre VIII, chap. ii-iii. Selon Clausewitz, au xixe siècle, l’époque n’est plus à la guerre de cabinets : « Au xviiie siècle, à l’époque des guerres de Silésie, la guerre était encore une simple affaire de cabinets à laquelle le peuple prenait part en tant qu’instrument aveugle ; au début du xixe siècle, les deux peuples étaient dans la balance » (Hinterlassenes Werk des Generals Carl von Clausewitz, Part. III, 3e éd., Berlin, 1869, chap. iii a, p. 78 ; non traduit dans De la guerre, l’édition française de 2014).

Au xixe siècle, les peuples entrent dans la balance avec toute la virulence de leur haine instinctive pour l’ennemi : Clausewitz, De la guerre, livre VIII, chap. 3. L’officier prussien n’est d’ailleurs pas hostile à la guerre populaire (Volkskrieg) dont la guérilla n’est qu’un aspect (livre VI, chap. 26). S’appuyant sur Clausewitz dans la Théorie du partisan, Schmitt considère pour sa part que les guerres révolutionnaires et napoléoniennes constituent le prélude aux guerres démocratiques ou nationales entre les peuples qu’il illustre par l’appel de Gambetta à la « guerre à outrance », conçue comme une guerre populaire (Volkskrieg) que Schmitt qualifie successivement de démocratique et de nationale : Carl Schmitt, Theorie des Partisanen (1963), Duncker & Humblot, 1995, p. 41 ; trad. fr. de la Théorie du partisan, Calmann-Lévy, 1972,p. 249. La dénonciation du « juif Gambetta » se trouve déjà dans le pamphlet d’Erich Ludendorff, Der totale Krieg, Ludendorffs Verlag, Munich, 1935, p. 11, cf. p. 4.

2.

Clausewitz affirme que la guerre, vu qu’elle surgit dans une situation politique et n’éclate que pour un motif politique, est « un acte politique » : De la guerre (1832), livre I, chap. 1, § 23, trad. fr. p. 42.

Clausewitz discerne deux manières de faire la guerre en fonction du but poursuivi (tout en concédant l’existence de types intermédiaires dans une des trois notes qui ouvrent la publication posthume du Traité) : la guerre absolue, comme idéal théorique et abstrait de la guerre, vise à l’anéantissement politique de l’ennemi en le désarmant ou en le contraignant à la paix ; la guerre effective, qui devient plus politique en s’éloignant du but de la guerre idéale, poursuit l’objectif d’une conquête locale (De la guerre, livre I, chap. 1, § 25). La guerre absolue dont parle Clausewitz en référence aux guerres napoléoniennes doit être bien démarquée de la guerre totale du xxe siècle, et la guerre populaire dont il est question (De la guerre, livre VI, chap. 26) est sans commune mesure avec la guerre des partisans que Carl Schmitt fustige en 1963 dans sa Théorie du partisan.